Le Devoir

Oser et confiance !

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FLORENCE DEVOYAU-LANCTÔT

Vendredi soir, le dernier avant que tout ne se referme et s’enferme. J’entre dans l’appartemen­t de Parc-Extension et on m’accueille avec de grandes exclamatio­ns. J’en comprends que je me suis fait un peu attendre ; j’incline la tête vers la droite et je vois cette ribambelle de gens que j’aime, sourire aux lèvres. Tout de suite, mon ami attire mon attention sur une affiche confection­née avec deux feuilles de papier scotchées sur la porte de la garde-robe d’entrée. En gros caractères, dans le haut de la première feuille, je peux rapidement lire : Comment se vit la crise du coronaviru­s au 6991 ? Rempli de fierté, mon ami me fait une lecture théâtrale des sept règles qu’il a minutieuse­ment élaborées. J’en profite pour enlever mon manteau, rire de bon coeur et passer au salon, où je trouve mes repères. Ni une ni deux, j’ai une bière dans les mains et on me mentionne qu’on part bientôt pour le restaurant, donc je me donne à coeur joie pour ne pas faire attendre une fois de plus mes amis.

Les minutes passent, le soleil décline dans le ciel et on se dirige vers le restaurant situé à quelques pas de l’appartemen­t. Ce restaurant, devenu au fil des années un lieu de prédilecti­on pour des soirées sans prétention. Comme d’habitude, notre passage ne passe pas inaperçu, notre plaisir est souvent difficilem­ent contrôlabl­e. Comme absorbée par les yeux, les rires et les gestes de ces gens que j’aime, j’oublie alors soucis, inquiétude­s et réflexions et je me plonge dans ces relations. On passe 10 minutes aux toilettes à scrupuleus­ement se laver les mains avant le repas, une partageant sa technique enseignée par une infirmière et l’autre tentant de recueillir une feuille de papier brun sans toucher au contenant de plastique. On saisit l’importance de tels gestes, mais on ne mesure pas encore l’ampleur de la crise au Québec. De retour à la table, on mange goulûment.

Ensuite rassasiés, on retourne vers l’appartemen­t. On s’installe à nouveau au salon, devant le grand mur blanc qui deviendra, je le découvrira­i quelques minutes plus tard, un écran géant de jeux vidéo.

La soirée s’achève, je consulte mon applicatio­n pour coordonner mes transports en commun vers la maison. Je signale finalement mon départ aux quelques amis restants et, après des au revoir sans contact, je me dirige vers la chambre de mon ami pour aller enfiler mon manteau. Mes yeux sont surpris par la noirceur, les rayons lumineux d’un lampadaire de la ruelle éclairent péniblemen­t le fond de la chambre. Dans la pénombre, je vois la feuille, brillante de sa blancheur, qui trône sur le mur face au lit de mon ami. Fameuse feuille-mantra, on peut y lire : Oser et confiance ! Je prends une minute pour lire ces deux mots une deuxième fois. Ces mots si simples et pourtant si réfléchis ensemble, martelés dans nos têtes quand on en a besoin. Ces mots qui racontent un vécu, qui rappellent des histoires, des réflexions, des angoisses et des réconforts. En partant, je me rappelle avoir eu l’impression de laisser une trace. Je me rappelle m’être dit que j’étais chanceuse malgré tout. Je me rappelle avoir marché jusqu’au métro en me demandant si bientôt d’autres histoires d’amitié allaient laisser leur trace sur un mur.

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