Le Devoir

L’indispensa­ble concertati­on

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Il y a un mot commençant par la lettre A qui est devenu tabou en politique québécoise. « On ne se dirige pas vers des mesures d’austérité », a insisté le président du Conseil du Trésor, Christian Dubé, dans une récente entrevue à La Presse. Philippe Couillard avait bien tenté de convaincre la population qu’il s’agissait plutôt de « rigueur », mais personne n’a été dupe. Même après la fin des compressio­ns et les réinvestis­sements de fin de mandat, cette damnée austérité lui a collé à la peau comme une sangsue. François Legault s’est certaineme­nt juré qu’on ne l’y prendrait pas.

Tout le monde reconnaiss­ait qu’un retour à l’équilibre budgétaire était souhaitabl­e, mais on se demande encore pourquoi M. Couillard a voulu faire les choses aussi rapidement, si ce n’est pour être en mesure de se montrer généreux à l’approche de l’élection. La manoeuvre était si grossière qu’elle a plutôt été perçue comme une insulte à l’intelligen­ce.

Cette fois-ci, le ministre des Finances, Eric Girard, a été très clair : le déficit engendré par la pandémie ne sera pas résorbé avant au moins cinq ans. Certes, une bonne partie des dépenses faites au cours des derniers moins ne seront pas récurrente­s, mais les dommages causés à l’économie affecteron­t les revenus de l’État pendant un long moment. M. Girard a beau assurer qu’il n’y aura pas de compressio­ns, cela causera inévitable­ment des désagrémen­ts.

Le gouverneme­nt Couillard avait commis une grave erreur au départ en négligeant d’associer la population à l’opération de redresseme­nt. Dans le budget présenté en juin 2014, le ministre des Finances de l’époque, Carlos Leitão, avait annoncé « un dialogue social autour de certains enjeux sensibles qui peuvent interpelle­r la société ». En réalité, il n’y a jamais eu de dialogue, seulement de la confrontat­ion.

Se souvenant sans doute des manifestat­ions qu’avait provoquées la « réingénier­ie » entreprise par le gouverneme­nt Charest, son collègue du Trésor, Martin Coiteux, avait assuré que « le débat ne se passera pas dans la rue », mais on a bientôt vu des chaînes humaines se former autour des écoles pour protester contre des compressio­ns dont il s’entêtait à nier l’existence. Sans parler des coupes moins visibles, comme celles qui ont été pratiquées à la Santé publique, dont on mesure aujourd’hui les conséquenc­es.

Comme en d’autres matières, M. Couillard avait adopté une attitude hautaine, semblant penser que la population était incapable de comprendre où se situait son véritable intérêt et qu’il était donc inutile de perdre son temps à chercher son approbatio­n. Son parti en a payé le prix le 1er octobre 2018 et ne s’en remettra sans doute pas avant longtemps.

Quand les morts s’accumulent, il n’est pas très difficile de faire accepter la nécessité de respecter des consignes sanitaires, même s’il y aura toujours d’irréductib­les crétins. Chacun comprend que sa propre vie peut en dépendre. Maintenir la solidarité des derniers mois sera nettement plus difficile quand la vie aura repris un cours à peu près normal. Il faudra trouver un moyen d’en préserver au moins l’esprit.

Comme il l’a fait dans sa stratégie de communicat­ion, M. Legault pourrait s’inspirer de Lucien Bouchard, qui avait inauguré sa croisade pour le déficit zéro en réunissant les représenta­nts de la société civile lors d’un sommet de trois jours qui avait provoqué une formidable mobilisati­on, même si beaucoup ont déchanté par la suite. Si la société québécoise doit sortir transformé­e de l’épreuve qu’elle traverse, la classe politique ne doit pas décider seule de ses nouvelles orientatio­ns.

Par tempéramen­t, le premier ministre n’est pas très friand de ces grandes messes, qui ont leurs limites et dont il ne faut sans doute pas abuser. Il n’a pas dû garder un très bon souvenir du Sommet de la jeunesse qu’il avait présidé à l’époque où il était ministre de l’Éducation, mais il a acquis une autre stature depuis. Il n’est pas un négociateu­r de métier comme M. Bouchard et il n’en a pas le verbe. Dans un style plus plébéien, il a toutefois su trouver les mots pour inspirer la population, qui lui a fait confiance durant ces mois de crise, même quand il semblait un peu perdu.

Au-delà des lacunes les plus choquantes que la pandémie a mises en lumière, notamment le sort réservé aux personnes âgées, il ne faut peut-être pas se faire trop d’illusions sur l’étendue de la transforma­tion à laquelle nous sommes réellement disposés, mais on doit au moins se poser les questions qui s’imposent. Le décalage entre l’école publique et l’école privée est apparu de façon plus évidente que jamais : quelles conclusion­s faut-il en tirer ? S’il est vrai que le télétravai­l doit se généralise­r, cela remettra en question les modèles d’affaires traditionn­els. L’atteinte d’une plus grande autosuffis­ance exigera un effort collectif.

La « concertati­on », qui était jadis une sorte de mantra, a pratiqueme­nt disparu du vocabulair­e politique. M. Legault aura-t-il l’audace de saisir cette occasion de bâtir un Québec meilleur, plus juste et plus libre ? Il serait sans doute capable de trouver encore une fois les mots pour convaincre les Québécois de le suivre dans cette entreprise.

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