Le fédéralisme pandémique
En revoyant le documentaire Le confort et l’indifférence, de Denys Arcand, sur le référendum de 1980, il est frappant de constater jusqu’à quel point les vifs débats qui ont eu lieu sur la souveraineté — et non pas sur la négociation d’une nouvelle entente Québec-Ottawa, comme le voulait la question alambiquée de la consultation populaire — portaient sur l’argent : sur la capacité d’un Québec souverain de payer les « pensions », la perte des milliards qui nous provenaient du reste du Canada, les affres du chômage et de la fuite des capitaux.
Avec nos yeux d’aujourd’hui, ces arguments que martelait le camp du NON apparaissent particulièrement spécieux, voire d’une malhonnêteté crasse, mais ils témoignent tout de même de l’infériorité et de l’asservissement économiques des Québécois à l’époque. Que de chemin parcouru, pourrait-on dire.
Or, en ces temps de pandémie, nous assistons au déploiement de la formidable force financière du gouvernement fédéral, alors que l’effort financier des provinces, à commencer par le Québec, apparaît bien modeste en comparaison.
Ainsi, le gouvernement fédéral a annoncé pour 150 milliards de dollars en initiatives, que ce soit des versements directs aux individus comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU) pour les travailleurs et les étudiants, une subvention pour 75 % des salaires versés par les sociétés, des crédits d’urgence et des prêts sans intérêts aux entreprises, le versement d’une allocation unique pour les retraités, etc. En tout, plus de 50 programmes d’aides de toute sorte. En raison de ces programmes, et des conséquences du confinement sur l’économie, le déficit du gouvernement fédéral doit passer des 26 milliards prévus cette année à 252 milliards, ce qui représente un peu plus de 12 % du produit intérieur brut (PIB) du Canada.
De son côté, le gouvernement québécois a fait un apport évalué à 18 milliards. Mis à part quelques mesures ciblées et peu onéreuses, il s’agit de prêts aux entreprises pour 2,5 milliards et pour le reste, de reports de paiements des sommes dues au fisc. Ce ne sont donc pas à proprement parler des dépenses.
Le gouvernement Legault engage toutefois des dépenses supplémentaires en santé et en éducation qui, associées au ralentissement induit par le confinement qui privera l’État de revenus, doivent se solder par un déficit de 12 à 15 milliards. Ce déficit correspond à quelque 3,5 % du PIB québécois.
C’est donc Ottawa, avec tous les leviers que lui confère le statut de gouvernement d’un pays souverain, et au premier chef la Banque du Canada, qui est déterminant en injectant les sommes nécessaires pour que l’économie canadienne ne sombre pas.
Il ne faut d’ailleurs pas s’inquiéter de l’endettement du Canada qui, avant la crise actuelle, affichait un ratio dette nette-PIB parmi les plus bas au monde. Même après le déficit de 252 milliards, ce ratio, à moins de 50 % du PIB, restera bien en deçà de la moyenne des pays du G20. Et puis, comme l’a expliqué dans La Presse Miville Tremblay, la Banque du Canada ne reste pas les bras croisés et soutient le marché des obligations du Canada et des provinces, quitte à utiliser le grand privilège réservé aux banques centrales des pays souverains, celui d’imprimer de l’argent.
Il faut se rappeler qu’une partie de cette stimulation économique reviendra dans les coffres de l’État. À terme, les finances publiques, que ce soient celles du fédéral ou celles des provinces, en profiteront.
Grâce aux sommes considérables que fait pleuvoir Ottawa sur le pays, on évite une crise économique carabinée. La population lui en est reconnaissante, comme en témoigne la cote d’approbation du gouvernement Trudeau dans les sondages, au grand dam des conservateurs qui voient chuter leurs appuis.
Le gouvernement Legault, qui s’insurge d’habitude contre le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, ne cesse de se réjouir de sa capacité à délier ses goussets. Jusqu’ici, Ottawa agit dans les limites de ses compétences avec ces transferts aux individus et l’aide apportée aux entreprises. Et il est à souhaiter qu’il continue dans cette voie maintenant que les municipalités cognent à sa porte pour obtenir 15 milliards de dollars.
Il s’agit tout de même d’une démonstration de force du gouvernement du Canada. Sa puissance financière se révèle de la plus grande utilité et fait pâlir l’étoile d’un gouvernement autonomiste aux prises avec les graves problèmes d’intendance. Mais ce sont les partis souverainistes qui doivent regarder non sans inquiétude ce train foncer tandis que se répandent les bienfaits de ce fédéralisme pandémique.