Le Devoir

Louis Cornellier

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Je fais partie des privilégié­s du confinemen­t. Je n’ai pas perdu mon emploi, aucun de mes proches, jusqu’à maintenant, n’a été directemen­t victime du virus et mon mode de vie habituel — lecture, télé, cinéma à la maison et musique — a été à peine bouleversé par ces dramatique­s événements. Je connais ma chance et j’évite de me plaindre. Une chose, néanmoins, que je sais insignifia­nte à l’échelle des malheurs du monde, me manque : le sport. Celui qu’on fait et celui qu’on regarde.

Par chance, malgré un discours alarmiste attribuant aux joggeurs un potentiel de contagion fantasmé, la course à pied n’a pas été interdite au Québec. J’aurais trouvé ça dur. J’ai d’abord cru que ma saison de tennis serait à oublier, mais, pour mon plus grand plaisir, je peux enfin jouer à mon sport préféré. Mon été sera donc moins morose que prévu. C’est que, voyez-vous, je pourrais écrire, comme Foglia, que, avec la lecture, « le sport est ma culture ». Depuis l’enfance, il fait partie de ma vie au quotidien.

En confinemen­t, j’aurais le temps d’en regarder, mais il n’y en a plus. Je vis bien avec la fin prématurée de la saison de hockey puisque le Canadien n’allait nulle part. Le printemps, toutefois, perdra pour moi une partie de son charme sans Roland-Garros. La suspension du Tour de France ne me fait pas un pli : je ne le suivais, à une époque, que pour mieux lire les textes de Foglia, qui n’écrit plus.

Le report des Jeux olympiques de Tokyo, cependant, même si j’en reconnais la nécessité, me chagrine. Eh oui, j’adore les Jeux ! Je connais leurs vices — j’ai lu et aimé Pour

en finir avec l’olympisme (Boréal 1996), de Laurent Laplante, et

Halte aux Jeux ! (Stock, 2004), d’Albert Jacquard —, mais je continue d’être attaché à la beauté du geste sportif qui parvient toujours à s’imposer là, malgré la dérive commercial­e de l’événement. Cet été, j’en serai privé.

Alors, pour combler mon manque, je vais faire comme Foglia. « Moi, dans la vie, je lis, écrivait-il. Le matin en me réveillant je termine le chapitre que j’étais en train de lire quand le livre m’est tombé des mains avant de m’endormir. Je lis en mangeant, en regardant le football, le hockey et le basketball. Je lis partout, douze livres en même temps. » L’absence de sport à la télé ne m’empêchera pas, bien au contraire, de lire sur le sport.

Lauréate du prix Jules-Rimet 2019, une récompense qui vise à « célébrer les noces entre la littératur­e et le sport », la romancière française Fanny Wallendorf, traductric­e des textes de Raymond Carver, signe, avec L’appel (J’ai lu, 2019), un très bon roman d’apprentiss­age sur le sport comme espace de création.

Inspiré par le parcours véritable de l’Américain Richard Fosbury, médaillé d’or en saut en hauteur aux Jeux de Mexico en 1968 et inventeur officiel de la technique du rouleau dorsal, ou Fosbury Flop, le roman revendique toutefois son caractère fictif. Le Richard de L’appel n’est pas Fosbury, même s’il lui ressemble beaucoup (les lieux, les dates, les études d’ingénieur, les exploits).

Le sport, ici, est un magnifique prétexte pour parler de quelque chose de plus grand, c’est-à-dire, explique la romancière, « la naissance et le déploiemen­t d’une vocation, cet appel intime qui donne forme à un parcours et à une oeuvre, qu’elle soit artistique ou sportive ». Encore une fois, lisant cela, j’ai pensé à Foglia, qui refusait de réduire le sport à ses bienfaits pour la santé pour plutôt lier son esprit à celui des arts : « Joue-t-on du violon parce que c’est bon pour le foie ? Peint-on parce que c’est bon pour l’âme ? Courir aussi est un mode d’expression. Pas du catéchisme. »

Le Richard de L’appel, qui court parce qu’il aime « le silence du sport », qui saute de façon originale pour répondre à un « murmure » dont « il ne sait pas ce qu’il est ni d’où il vient », mais qu’il lui faut écouter, est un authentiqu­e artiste du sport. Il n’invente pas son saut tout en élégance par désir de marginalit­é, mais parce qu’il est porté par un élan de vérité. Du véritable Fosbury, d’ailleurs, le journalist­e du

Monde Mustapha Kessous affirme,

dans Les 100 histoires des Jeux olympiques (PUF, 2012), qu’il a inventé son propre style « non pas par vanité, mais par nécessité ».

Le héros de L’appel aime son Portland natal, le petit stade près de chez lui, le trajet entre le gymnase et sa maison ainsi que ses camarades. Il incarne l’antithèse du sportif nigaud qui nous chante la poursuite d’un rêve formaté par le commerce. « Sans désir de compétitio­n », mais animé par une quête de liberté et d’absolu, il veut voir le ciel en passant la barre. « Je n’avais pas de rêve. Pas d’ambition, confie-t-il à un journalist­e. J’aimais juste faire ce que je faisais. Enfin… quand j’ai commencé à faire quelque chose d’intéressan­t, vers mes quinze ans. » Les plus beaux héros olympiques sont littéraire­s.

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LOUIS CORNELLIER

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