Le Devoir

Farce spatiale

Steve Carell apporte une tendresse irrésistib­le à Space Force, une série qui se moque de la sixième branche de l’armée de Trump

- MANON DUMAIS Space Force Sur Netflix, dès vendredi

En annonçant, en juin 2019, sa volonté de créer une force spatiale, indépendan­te de l’armée de l’air, le président des États-Unis n’aurait sans doute pu imaginer que la sixième branche des forces armées américaine­s ferait l’objet de tant de moqueries. Encore moins qu’elle inspirerai­t à Steve Carell et à Greg Daniels, cocréateur de la mouture américaine de The

Office et de Parks and Recreation, une comédie tournant allègremen­t en ridicule cette branche qui allait s’ajouter à l’armée de terre, à l’armée de l’air, à la marine, au corps des marines et aux garde-côtes.

À elle seule, l’affiche de Space Force, où Carell pose fièrement en uniforme imitant le sol lunaire et où l’on peut lire « Space will never see us coming » (« L’espace ne nous verra pas venir »), évoque malicieuse­ment l’accueil que recevait l’uniforme à motif camouflage de la US Space Force en janvier. Rappelons que le logo avait aussi été raillé en raison de sa ressemblan­ce avec celui de la Starfleet, flotte spatiale de Star Trek.

Si Donald et Melania Trump n’apparaisse­nt pas dans Space Force, tous deux, simplement désignés sous les appellatio­ns POTUS (President of the United States) et FLOTUS (First Lady

of the United States), sont à l’origine de nombreuses scènes cocasses ou situations embarrassa­ntes. En fait, sans le couple présidenti­el, cette comédie ne serait pas la même.

« Science-friction »

Le ton de la série est donné dès la première réunion des différente­s branches de l’armée. Croyant qu’il sera nommé à la tête de l’armée de l’air, le général Mark R. Naird (Steve Carell) se voit promu chef de la Space Force. Sa première mission sera d’établir, avant les Chinois et les Russes, une base lunaire. Dès qu’un personnage prononce « Space Force », c’est le fou rire autour de la table. Tous font des gorges chaudes du sort réservé au pauvre Naird, qui n’est pas sans rappeler Michael Scott, le patron incompéten­t que Carell incarnait avec le même naturel dans The Office.

Le seul qui ne rit pas, c’est le général Kick Grabaston (Noah Emmerich), chef de l’armée de l’air, qui voudrait bien que la nouvelle branche de l’armée et la sienne fusionnent. Malgré les amusantes altercatio­ns entre les deux généraux, ce qui fera certaineme­nt crouler de rire les spectateur­s, ce sont les scènes que partagent Carell et le toujours exquis John Malkovich, qui incarne le docteur Adrian Mallory. Homme de science pragmatiqu­e, raffiné et cultivé à la garde-robe sophistiqu­ée, il est tout le contraire de Naird, pour qui le deuxième amendement de la Constituti­on est la solution à tous les problèmes.

À l’instar du docteur Anthony Fauci face à Donald Trump, Mallory aura bien du mal à garder son sérieux ou son sang-froid devant les inepties que débitera Naird, devant son manque total d’écoute et de jugement, de même que devant sa paranoïa de plus en plus envahissan­te.

Tandis que les Chinois auront une longueur d’avance sur les Américains, Naird en viendra à soupçonner le docteur Chan Kaifang (Jimmy O. Yang) d’être un espion. Son comporteme­nt à l’égard du jeune scientifiq­ue ne sera pas sans rappeler l’attitude récente de Trump face à une journalist­e sinoaméric­aine. Quand la fiction dépasse la réalité…

Bien qu’on puisse le soupçonner d’être raciste et sexiste, Naird nommera à la tête d’un improbable groupe d’astronaute­s Angela Ali (Tawny Newsome), brillante mathématic­ienne afro-américaine dont un malheureux lapsus en fera quelque temps la reine de TikTok.

Et la FLOTUS dans toute cette galère ? Eh bien le bataillon de scénariste­s a voulu saluer ses malencontr­eux choix vestimenta­ires dans un épisode où elle soumet à la Space Force des modèles d’uniformes tous plus blingbling les uns que les autres. Avide de clics, Tony (Ben Schwartz), responsabl­e des réseaux sociaux, embrassera goulûment le projet. Au grand dam de Naird et du général Brad Gregory (Don Lake), son fidèle et maladroit bras droit, Tony n’en sera pas à une bassesse près dans l’espoir de monter dans les plus hautes sphères.

Du bureau à la lune

Pas besoin d’être fasciné par la conquête de l’espace pour succomber à Space Force. De fait, les fans de Parks

and Recreation et de The Office y trouveront facilement leur compte puisqu’au-delà de l’intrigue militaire et politique, ce qu’exploitent Greg Daniels et Steve Carell, ce sont les relations de travail. En cette ère de télétravai­l ou de chômage forcé, on a presque un pincement au coeur devant cette succession loufoque de tensions, de malaises et de prises de bec et les rares moments de franche camaraderi­e.

Vivant dans la peur de déplaire au président, le rigide Naird pourrait bien se détendre auprès de sa famille. Or, celle-ci est joyeusemen­t dysfonctio­nnelle. Sa femme Maggie (Lisa Kudrow) purge une peine de prison à vie, tandis que sa fille Erin (Diana Silvers) traverse sa crise d’adolescenc­e. Quant à son père, incarné par le regretté Fred Willard, il perd peu à peu contact avec la réalité. Heureuseme­nt, Naird parvient à s’évader grâce à la musique — ce qui nous vaudra une hilarante interpréta­tion de Kokomo des Beach Boys.

Pétri de défauts, Naird n’en demeure pas moins un personnage attachant comme seul Steve Carell sait en composer. Au coeur de cette folle conquête de l’espace, où l’on tire à boulets rouges autant sur le gouverneme­nt que sur l’armée, la justice, la presse et le peuple, l’acteur apporte une tendre dimension humaine à laquelle on ne saurait résister.

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AARON EPSTEIN / NETFLIX Ce qui fera certaineme­nt crouler de rire les spectateur­s, ce sont les scènes que partagent Steve Carell et le toujours exquis John Malkovich, qui incarne le docteur Adrian Mallory.

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