Récit à construire et à emporter
Le livre interactif Motto se lit et se transporte sur le téléphone, tel un livre de poche invitant à la balade
Le mois de mai ? C’est le plus fabuleux, parole d’artiste, d’un en particulier, Vincent Morisset. C’est en pensant à ce mois comme le plus important de l’année qu’il a planifié il y a un an la sortie de son projet, le « livre interactif » Motto, conçu comme un site Web pour appareil mobile. « En mai, il doit faire beau, c’est intéressant de se balader. On redécouvre le dehors. »
Or, cette période étrange où « confinement » est le maître-mot pousse à repenser chaque produit culturel, chaque projet de sortie. À peine trois lignes de Motto ont été modifiées, concède Vincent Morisset, tant « il tombe à point pour ceux qui tournent en rond, qui cherchent des choses à faire ».
« Le projet est tripant même dans notre salon, assure-t-il. Le contexte du confinement ouvre plus d’horizons. Plus le canevas est petit, plus il nous force à voir des choses dans la simplicité, à faire tourner la matière grise. L’interactivité est intéressante dans l’action, oui, mais aussi dans l’obligation de réfléchir, de choisir. »
Production de l’ONF à mi-chemin entre le film et le livre, Motto consiste en un énigmatique récit où le narrateur invite l’usager (nous) à insérer ici et là ses propres et très courtes vidéos (quelques secondes), captées directement avec le téléphone (ou la tablette). La succession ou la superposition d’images fixes et d’images en mouvement mime les brefs récits des réseaux sociaux. Sauf que Motto comporte six chapitres, dont chacun dure une quinzaine de minutes.
« Il doit y avoir 1500 pages, un peu plus », évalue son principal artisan, qui prend le temps de signaler que le premier chapitre explique le projet. « À partir du deuxième, on tombe dans l’histoire, dans l’intrigue. »
Telle une chasse au trésor, la trame peut mener à de multiples découvertes aussi anodines qu’une poignée de porte ou aussi sublimes qu’un paysage andin. C’est d’ailleurs au Chili que la véritable aventure débute, où l’on fait la connaissance de Septembre, fantôme plus amical que terrifiant.
« À toi », collectif peu geek
Actif dans la sphère Web depuis vingt ans, Vincent Morisset ne porte pas seul la création de Motto. C’est un projet collectif, signé à huit mains. Lui assume la réalisation. Ses deux complices de longue date au sein du studio AATOAA (« à toi »), Caroline Robert et Édouard Lanctôt-Benoit, s’occupent respectivement du montage et du « code ». Enfin, le texte a été confié à un invité, l’écrivain et critique musical Sean Michaels.
« Sean a une plume extraordinaire et une sensibilité multiple. Blogueur de musique et issu de la culture numérique des années 1990, il a le talent pour écrire des choses intangibles », résume, admiratif, Vincent Morisset.
Il faut dire aussi que Michaels avait déjà collaboré avec AATOAA, lors d’un précédent projet Web porté aussi par l’ONF (Jusqu’ici, 2015). Il avait également écrit la préface d’un documentaire sur Arcade Fire réalisé par Morisset. Né après trois ans et demi de travail, Motto s’est, lui, construit comme un canevas « en ping-pong » — les collaborateurs s’envoyaient et se renvoyaient les esquisses du projet.
« On n’est pas des geeks, Sean a même un flip phone, confie le réalisateur, comme pour convaincre que le nouvel objet n’est pas seulement destiné à des férus de gadgets électroniques. Depuis longtemps, on pousse la technologie, mais de manière candide et pragmatique. Motto n’est pas une réflexion sur la place de la technologie, plutôt une addition de fragments d’intimités, de réalités de différentes personnes qui nourrissent une histoire commune. »
Vincent Morisset et son équipe ont bâti Motto comme un « livre de poche », plutôt qu’un jeu Web, comme un projet narratif qui implique véritablement le lecteur. Après un an de travail, ils ont trouvé la forme qu’ils présentent aujourd’hui, un amas « de textes, d’effets d’échos et d’enregistrements qu’on intègre dans un récit. »
Le groupe s’était imaginé le mois de mai 2020 comme le moment idéal pour lancer Motto à l’échelle planétaire, avec l’appui de l’ONF. Il n’avait jamais pensé qu’il serait si pertinent. La pandémie et le confinement qu’elle a imposé, comme on l’entend souvent, changeront bien des habitudes. Tel un prisme, Motto repose sur ce principe.
« Il invite à regarder autrement les choses, notre rapport au monde, notre quartier, notre maison, notre relation à la mémoire, aux autres, à nousmêmes… Je suis étonné de constater à quel point il résonne avec la situation actuelle », dit Vincent Morisset.
« Le projet, conclut-il avec une grande sincérité, fait du bien. Il donne le sentiment de collectivité, d’une intimité avec les autres, à travers une histoire qu’on peut suivre et faire partout à la maison ou en marche, à Montréal, comme à Buenos Aires ou à Tokyo. »