Crainte d’une vague de cancers du sein
Le programme de dépistage a été mis sur pause depuis le début de la crise sanitaire
Des médecins craignent de faire face à une vague de nouveaux cas de cancer du sein cet été au Québec. Le programme québécois de dépistage, destiné aux femmes entre 50 et 69 ans, est en suspens depuis le début de la pandémie de COVID-19. Les mammographies de suivi ont ralenti. Mais la maladie, elle, continue de frapper.
Le Dr Sarkis H. Meterissian, chirurgien-oncologue au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), est inquiet. Depuis plus de huit semaines, aucune femme n’a subi de mammographie dans le cadre du Programme québécois de dépistage du cancer du sein.
« Le plus gros problème, ce sont les femmes atteintes de cancer qu’on ne connaît pas, dit le médecin, codirecteur scientifique de la Fondation du cancer du sein du Québec. Ces cas vont venir. Comment va-t-on les opérer ? Et s’il y a une deuxième vague de COVID-19, qu’est-ce qui va arriver ? »
Au CUSM, 400 patientes, qui ont déjà eu un cancer du sein, ont vu leur mammographie de suivi annuelle reportée, selon le Dr Sarkis H. Meterissian. « Elles peuvent avoir une récidive », dit-il. Dans ce centre de référence pour investigation désigné, plus de 300 autres femmes figurent aussi sur une liste d’attente pour un deuxième test, parce que des anomalies ont été détectées lors du premier, indique le Dr Sarkis H. Meterissian.
« Il y a urgence que le gouvernement fasse connaître son plan d’action, dit-il. Comment va-t-on gérer le tsunami de patientes avec un nouveau cancer du sein en juillet et en août ? »
Plus de 350 000 mammographies sont effectuées au Québec dans le cadre du Programme québécois de dépistage du cancer du sein, selon Éric Pelletier, chef d’une unité scientifique à l’Institut national de santé publique
du Québec. Les femmes de 50 à 69 ans sont invitées à subir un test de dépistage tous les deux ans.
« Sur 1000 tests, on détecte environ 6 cas de cancer du sein », dit Éric Pelletier. En une année, cela représente donc 2100 cas. Des centaines, donc, depuis le début de la pandémie.
La Dre Mai-Kim Gervais, chirurgienne oncologue à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, redoute aussi une vague de nouveaux cas de cancer du sein. « Ça va être difficile de tous les traiter dans un échéancier d’un mois, dit la médecin. Normalement, quand on a un diagnostic de cancer et qu’on rencontre un chirurgien, la directive ministérielle est d’opérer à l’intérieur d’un délai de quatre semaines. »
Le centre de radiologie de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont est « en retard de 5000 mammographies de dépistage », selon la Dre Mai-Kim Gervais. Un report de tests, qui se fait sentir jusque dans son cabinet, d’après elle. Les consultations y sont en baisse de 50 %.
La peur
« Un des problèmes, c’est que les femmes ont peur de passer leur mammographie ou de voir leur médecin de famille, dit la Dre Mai-Kim Gervais. On peut échapper des patientes comme ça. » Elle rappelle que des mesures de protection ont été mises en place pour éviter que les patientes et les employés ne se contaminent à la COVID-19 durant ces examens.
Bien des femmes ne se sentent pas « légitimées » de consulter pour une bosse au sein en cette pandémie de COVID-19, selon Cécilia Peugeot, travailleuse sociale, coordonnatrice des programmes de soutien à la Fondation du cancer du sein. « Une dame, en attente de biopsie, m’a contactée et m’a demandé “est-ce que je peux aller à l’urgence même si je n’ai pas les symptômes de la COVID-19 ?” raconte-t-elle. Ses symptômes s’étaient aggravés. »
Lynda Ouellet, qui a reçu un diagnostic de cancer du sein il y a deux ans, a détecté à la fin mars une petite bosse sous une aisselle. Elle croit qu’en temps normal, elle aurait appelé plus rapidement pour obtenir un rendez-vous à l’Hôpital de Saint-Jérôme. « Au début, je me suis dit “je vais attendre”, dit-elle. Je vais voir si c’est une boule de tension. Je commençais à faire du télétravail. »
Lynda Ouellet a finalement tenté de joindre sa chirurgienne. « Je me sentais comme dans la maison des fous d’Astérix, dit-elle. Je n’arrivais à parler à personne. Je tombais sur des boîtes vocales. » Elle a finalement vu sa chirurgienne lors de son rendezvous prévu tous les trois mois. « Elle n’était pas tellement contente que j’aie eu autant de difficulté à la joindre », dit-elle. Elle a depuis passé une mammographie, une échographie et une biopsie. Elle attend le résultat.
Le président de l’Association des radiologistes du Québec, le Dr Vincent Oliva, croit que les mammographies de dépistage doivent recommencer « le plus vite possible ». « On préconise de le faire dans les régions où c’est possible de repartir, où il y a peu de transmission de la COVID-19 », dit-il.
Le Dr Vincent Oliva juge toutefois que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a bien agi en mettant le programme de dépistage sur pause. Il fallait procéder à du délestage en raison de la pandémie et réduire les risques de contamination des patients et des employés.
« C’est une décision raisonnable dans la mesure où on fait une mammographie tous les deux ans, expliquet-il. Il faut comprendre que, quand on détecte une anomalie, elle est très petite. C’est un cancer à ses tout débuts. Souvent, ce ne sont pas quelques semaines ou quelques mois qui vont faire la différence. »
La Dre Geneviève Tondreau souligne que le Canada recommande une mammographie « tous les deux ou trois ans » afin de réduire la mortalité associée au cancer du sein dans cette tranche d’âge. « En Angleterre, leur programme, c’est tous les trois ans », ajoute la médecin-conseil et responsable médicale du Programme québécois de dépistage du cancer du sein à la direction régionale de santé publique de Montréal.
Selon le MSSS, le plan de reprise du programme de dépistage devrait être publié dans les prochains jours. Certaines régions reprendront plus rapidement que d’autres, au cours des prochaines semaines, écrit le MSSS, dans un courriel.