Ceci n’est pas un tribunal
Certains souhaiteraient sans doute voir les responsables de la catastrophe des CHSLD être placés sur la sellette par une commission d’enquête publique. Ce n’est cependant pas un exercice de défoulement collectif qui va permettre d’améliorer le sort que la société québécoise réserve aux personnes âgées en perte d’autonomie. Il y a sans doute dans le réseau de la santé des gestionnaires qui n’ont pas été à la hauteur de la situation et qui doivent être déplacés, mais on ne parle pas ici de criminels comme certains de ceux qui ont comparu devant la commission Charbonneau et qui ont été poursuivis en justice par la suite. Soit, les lourds antécédents du propriétaire du centre Herron auraient dû le disqualifier dès le départ, mais ces crimes n’ont pas été commis dans l’exercice de ses activités reliées à la santé.
La commission Charbonneau avait le mandat de démonter un stratagème qui avait permis à des individus d’escroquer les contribuables par la collusion et la corruption, sous le regard intéressé des partis politiques. Dans le cas présent, il s’agit plutôt de démonter un système qui a rendu le réseau de la santé incapable de réagir comme il aurait dû face à la pandémie. Il serait injuste de faire le procès de gens qui, d’une certaine façon, sont aussi les victimes du dysfonctionnement du réseau.
Le premier ministre Legault est tombé des nues en apprenant que certains CHSLD n’avaient pas de patron. C’est plutôt sa surprise qui aurait dû étonner. Si le chef du gouvernement lui-même n’a pas une meilleure compréhension des lacunes du réseau, la nécessité d’une commission d’enquête est indéniable.
À Québec, on travaille sur différents scénarios. Dans le meilleur des cas, une commission pourrait se mettre en branle à l’automne, mais une deuxième vague de pandémie reporterait l’opération au printemps 2021, tout comme l’ouverture d’une nouvelle session parlementaire et la présentation d’un message inaugural qui dessinerait les grandes lignes du plan gouvernemental pour l’après-crise.
Même si une commission peut faire des recommandations préliminaires, il lui faudra un certain temps avant de présenter un rapport complet. On a donc établi une série de mesures relatives aux CHSLD qui seront mises en oeuvre sans attendre, notamment leur redonner une direction autonome et y envoyer des équipes de prévention. Sans parler des travaux qui permettront d’isoler les zones « chaudes » et d’offrir une meilleure climatisation.
De toute manière, ce n’est pas une commission d’enquête qui peut régler le problème de la pénurie de personnel et forcer le gouvernement et les syndicats à s’entendre sur la façon de hausser le salaire des préposés aux bénéficiaires sans déséquilibrer la structure de rémunération de l’ensemble du secteur public.
S’il est impensable de tenir une commission pendant que tous les efforts sont monopolisés par la lutte contre la pandémie, le plus tôt sera le mieux. Depuis vingt ans, les études sur les services aux personnes âgées ne se comptent plus, mais elles ont été ensevelies sous la poussière. M. Legault semble réellement déterminé à agir, mais les priorités en politique ont la fâcheuse habitude de se faire bousculer par d’autres, au fur et à mesure que les électeurs expriment de nouveaux besoins.
Le maintien à domicile fait évidemment partie de l’équation. Il y aura toujours des gens dont la condition nécessitera leur transfert en établissement, mais la proportion de personnes âgées qui y vivent est nettement trop élevée au Québec par rapport au reste du Canada. S’il est clair que les soins à domicile doivent être augmentés de façon substantielle, la question est de savoir comment les financer et qui doit les administrer.
Le gouvernement ne veut surtout pas d’un rapport dont les recommandations seraient si coûteuses qu’elles entraîneraient un affaiblissement des autres missions de l’État, mais l’idée d’une assurance autonomie, émise d’abord par la commission Clair et reprise ensuite par l’ancien ministre Réjean Hébert, devra être réexaminée.
M. Legault a déjà indiqué son intention de nationaliser les CHSLD, mais le secteur privé occupe également une place prépondérante dans la livraison des soins à domicile. En 2018-2019, 85 % des 15 millions d’heures de services ont été dispensées par des « partenaires externes » au réseau public, alors que les CLSC devaient au départ être la pierre d’assise. Est-ce la meilleure solution ?
Même si personne n’a envie d’une nouvelle réforme des structures du réseau de la santé, qui prendrait des années à s’implanter, il faudra inévitablement s’attaquer aux causes systémiques de la réaction inadéquate à la pandémie. On ne peut pas se résigner à vivre avec le modèle Barrette, dont on a pu mieux mesurer les effets désastreux, sous prétexte que le changer serait trop compliqué. Faudrait-il confier la gestion du réseau à une société d’État indépendante du ministre, comme l’avait jadis proposé Philippe Couillard ? Devrait-on ressusciter les agences régionales, dont il avait vanté les mérites avant de les abolir ?
S’il faut malgré tout désigner quelqu’un à la vindicte publique, Marguerite Blais ferait parfaitement l’affaire. De toute façon, si la bonne image dont elle bénéficiait a contribué à la victoire caquiste d’octobre 2018, ce ne serait sans doute plus le cas en 2022.