Le Devoir

Je n’enseigne pas

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Beaucoup de gens font apprendre, mais n’enseignent pas. Un parent élève son enfant. Un précepteur instruit un enfant en privé. Une didacticie­nne produit du matériel éducatif. La TELUQ forme des adultes à distance. Et la personne qui parle durant des heures devant des universita­ires ne fait apprendre que si, et seulement si, les adultes suivant le cours y ajoutent de façon autonome deux fois plus d’heures en travaux complément­aires. Aucun de ces gens n’enseigne.

Moi, j’enseigne. Ma job : faire apprendre des savoirs prescrits à des groupes d’élèves avec un minimum de ressources. Pour ce faire, je choisis les activités, en plus de devoir contrôler le contenu, les objectifs, le milieu de travail, les moyens utilisés, le moment et le rythme… Je dois interagir avec tous mes élèves et offrir des retours rapides. Je prends des centaines de décisions à l’heure pour piloter et réajuster le tout en temps réel, et m’adapter à des centaines d’enfants. Enseigner à distance s’avère impossible.

Je n’ai pas la prétention du ministère. Le même ministère qui demande maintenant aux parents d’être des accompagna­teurs me demande aussi depuis une vingtaine d’années d’être un accompagna­teur. Le même ministère qui me demande maintenant d’enseigner et d’évaluer à distance refuse depuis une dizaine d’années que j’enseigne et évalue ce qu’il me demande d’enseigner et d’évaluer. En effet, vers 2010, le ministère a changé l’entièreté du contenu à enseigner et à évaluer. Toutefois, il refuse toujours de débloquer des fonds pour que les écoles se dotent de matériel afin d’enseigner et d’évaluer ce qu’il a lui-même prescrit.

Là, je n’enseigne pas. Ma job : faire apprendre… et je fais ce qui doit être fait, sans que personne sache ce qui doit être fait. Humblement. Bruno Charette, Enseignant au secondaire

Montréal, le 24 mai 2020

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