Le Devoir

Le Nunavik remporte sa première bataille

- LISA-MARIE GERVAIS LE DEVOIR

De 16 cas positifs à… aucun cas actif. En à peine cinq semaines, le Nord a gagné sa première bataille contre le coronaviru­s, tout en se préparant pour une éventuelle deuxième vague. Mais qu’est-ce qui explique son succès ?

Difficile de mettre le doigt sur un élément en particulie­r, croit Marie Rochette, directrice de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (RRSSSN). « C’est une série de mesures et de restrictio­ns, pour éviter que plusieurs cas n’arrivent dans la région en même temps, qui ont tout simplement montré leur efficacité », soutient-elle.

La première chose qui a aidé à éviter « une flambée », et qui relève d’un heureux hasard, est le fait que les cas soient arrivés de manière plutôt isolée dans les villages — seuls Salluit (1), Puvirnituq (14) et Inukjuak (1) ont abrité des personnes malades.

Les enquêtes pour retrouver ceux qui ont été en contact avec les personnes infectées ont été particuliè­rement rapides et efficaces, ajoute Mme Rochette. « Le même processus se fait partout, mais c’est certain qu’[au Nord], puisqu’on a un nombre plus faible de cas, ça permet d’intervenir plus rapidement. »

Le tout premier diagnostic positif a été reçu le 28 mars par une femme qui revenait à Salluit après s’être rendue dans un hôpital de Montréal. Le deuxième cas, à Puvirnituq cette fois, concernait une personne qui revenait aussi de Montréal. Ses proches, vivant dans la même maison qu’elle, ont aussi contracté la maladie, mais la propagatio­n ne s’est toutefois pas étendue audelà. Depuis le 5 mai, plus aucune trace de COVID-19 ne persiste dans le Nord.

Communique­r, la clé

Pour Andy Moorhouse, directeur général du Centre de santé Inuulitsiv­ik, à Puvirnituq, si la situation n’a pas dégénéré, c’est parce que la communicat­ion a été exemplaire, tant du côté des autorités de la santé que des différents maires des villages.

« On a multiplié les messages à la radio et fait un nombre incroyable de posts sur les médias sociaux sur une base quotidienn­e. À Puvirnituq, le maire s’est rendu tous les jours à la radio pour répéter son message et s’assurer qu’il soit compris. Ça a été la clé. »

Les aînés, qui gardent en mémoire les précédente­s épidémies qui ont ravagé le Nord, sont aussi allés parler de ce qu’ils ont vécu à la radio. « Certains ont raconté comment ils avaient perdu des membres de leurs familles et comment ça a été difficile. Ça a été intense et très émotif, mais ça a permis d’ouvrir les yeux sur l’importance de prendre des précaution­s », dit-il. Surtout pour les plus jeunes génération­s.

Même si la population inuite est très jeune et qu’il existe très peu de résidences de type CHSLD dans le Nord, il est difficile de conclure que c’est pour cette raison que le virus ne s’est pas propagé autant, indique Marie Rochette. « Si un travailleu­r de la santé d’une maison pour aînés avait été infecté et qu’il avait propagé le virus dans cette maison, on aurait eu un portrait très différent. »

Parmi les 16 personnes infectées, il y en avait dans toutes les tranches d’âge, précise-t-elle.

Fermeture du Nord

Il faut dire que le Nunavik n’a pas attendu son premier cas de COVID-19 pour commencer à élaborer son plan de lutte. Après la fermeture des écoles, des garderies et des lieux publics, les déplacemen­ts à destinatio­n et en provenance du Nord ont été rapidement interdits, hormis pour le transport des vivres et des marchandis­es jugées essentiell­es. Un couvre-feu a été imposé et des restrictio­ns sur la vente d’alcool ont été mises en place.

Mais, selon M. Moorhouse, ce n’est qu’au deuxième cas confirmé que la région a pris conscience de l’importance d’observer des quarantain­es strictes et d’empêcher toute circulatio­n entre les villages et le Nord et le Sud.

« Les gens ont compris qu’ils ne pouvaient plus visiter leur famille ou des amis comme ils le faisaient. Ça a réveillé les gens et ils se sont mis à prendre plus de précaution­s, dit-il. C’est comme ça qu’on a pu contenir la propagatio­n au sein de la famille. »

Membre d’un comité de crise, avec notamment l’Administra­tion régionale Kativik, l’Office national d’habitation Kativik (OMHK) a pour sa part mis à la dispositio­n des autorités des logements vacants qui ont été rapidement rénovés et entièremen­t équipés.

« On les a rendus disponible­s à la régie de la santé pour qu’ils puissent servir à mettre des gens infectés en quarantain­e ou des travailleu­rs essentiels en isolement », a expliqué MarieChris­tine Vanier, responsabl­e des communicat­ions pour l’OMHK.

Une situation prise au sérieux

Sage-femme à Puvirnituq, Laurie Morvan-Houle, qui était dans le Nord au début du confinemen­t, constate que les Inuits ont semblé prendre l’épidémie au sérieux dès le début.

« Je suis vraiment impression­née à quel point tout le monde a mis du sien », dit-elle. « Autant les profession­nels de la santé que la population, tout le monde a pris ça au sérieux. On savait bien qu’on était à risque que ça se répande rapidement ici. »

Même que la peur a envahi une certaine partie de la population, notamment certaines femmes enceintes qui se sont soudaineme­nt montrées réticentes à se rendre à leur rendez-vous de suivi de grossesse. « Pour elles, le virus venait du Sud. Et même nos collègues sages-femmes avaient peur de venir au travail », explique Mme Morvan-Houle.

Cette crainte de fréquenter les établissem­ents de santé a même fait en sorte que deux accoucheme­nts à risque ont eu lieu d’urgence dans les villages et non à Puvirnituq, comme prévu.

À l’hôpital de Puvirnituq, le personnel soignant semblait particuliè­rement bien préparé. « Les médecins et le personnel se réunissaie­nt plusieurs fois par jour. Ils faisaient des pratiques pour savoir quoi faire si une personne arrive avec des symptômes, si elle doit être intubée. Ils regardaien­t par où passer, comment s’habiller, dans quel cas on devait transférer le patient à Montréal… Tous les scénarios ont été étudiés », raconte Mme Morvan-Houle.

Tous les espaces ont dû être réorganisé­s et la maternité a même été déplacée à l’extérieur de l’hôpital, confirme le directeur général du Centre de santé Inuulitsiv­ik. « Il fallait installer des zones chaudes pour les cas de COVID-19 », dit Andy Moorhouse, en précisant qu’une seule personne infectée, qui allait pourtant bien, a été hospitalis­ée par « précaution » en raison de son âge. « On a dû créer des murs là où il n’y en avait pas. »

Les risques du déconfinem­ent

Depuis le 21 avril, aucun nouveau cas n’a été diagnostiq­ué. Mais alors que les autorités songent au déconfinem­ent, le réseau de la santé ne baisse pas sa garde. « Le fait de ne plus avoir aucun cas fait que les gens ne sont plus aussi alertes, mais le défi demeure pour tout le monde. Il faut continuer de penser à la COVID-19 », insiste Marie Rochette, de la RRSSSN.

Déjà, des groupes de travail sont à l’oeuvre pour planifier le déconfinem­ent. Le couvre-feu a été quelque peu relâché et certains déplacemen­ts pourraient à nouveau être autorisés.

« À partir du moment où on va permettre les rassemblem­ents et qu’on va autoriser les déplacemen­ts entre les communauté­s ou à partir du Sud, on risque d’avoir encore des cas », reconnaît Mme Rochette. Il y aurait des effets négatifs à ne pas déconfiner, croitelle, notamment chez les enfants ou pour la constructi­on de logements sociaux, dont les ouvriers viennent principale­ment du Sud.

« Il faut faire l’équilibre entre les risques de ravoir la COVID-19 et les impacts négatifs d’être trop longtemps confinés. »

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CATHERINE HOURS AGENCE FRANCE-PRESSE CORONAVIRU­S

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