Une maison ancienne échappe à la destruction en Beauce
Le maire de Beauceville a arrêté in extremis la destruction d’une demeure emblématique de sa ville
Tandis que de multiples maisons anciennes de la Beauce sont détruites au nom du programme d’intervention du gouvernement contre les inondations de la rivière Chaudière, le maire de Beauceville, François Veilleux, n’arrive pas à accepter qu’une des plus belles résidences de sa municipalité puisse elle aussi être démolie. La maison d’Élyse, une maison plus que centenaire, devait tomber sous le pic des démolisseurs la semaine prochaine.
« On a arrêté tout ça en disant aux propriétaires qu’on allait prendre à notre charge les frais en attendant, le temps de trouver une solution », explique le maire Veilleux en entrevue au Devoir.
Pour Gaston Cadrin, vice-président du Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM), les modalités prévues pour la zone d’intervention spéciale décrétée par le gouvernement du Québec constituent « un programme destructeur du patrimoine. En fait, on n’en tient pas compte du tout ». Selon lui, « en Beauce, il n’y aura bientôt plus rien à voir ».
Impeccable
La famille de l’ancien directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous, à Montréal, le comédien Pierre Bernard, a occupé longtemps la maison d’Élyse. « Le grand saule qui est devant, c’est moi qui l’ai planté avec mon père », se souvient Pierre Bernard. En septembre dernier, il avait loué une chambre pour une nuit dans l’ancienne résidence familiale, devenue depuis un gîte touristique récompensé de plusieurs prix. « Tout était encore impeccable, avec le grand escalier et tout. » Sur le site Internet du gîte, on note que cette bâtisse de style Queen Ann, « construite pour une élite bourgeoise », a « si bien conservé ses caractéristiques architecturales qu’elle est maintenant considérée comme un attrait patrimonial régional ».
Les propriétaires actuels, Raynald Dickner et Claire Beaulieu, se sont pourtant résolus à l’abandonner. En vertu de la mise en place d’une « zone d’intervention spéciale décrétée » par le gouvernement à la suite des inondations de 2019, les propriétaires voient la valeur de leur propriété réduite quasi à néant et sont nombreux à en demander la démolition pour toucher une indemnisation que le maire de Beauceville estime généreuse. « Les gens se demandent s’ils vont revoir ça passer. Alors ils prennent l’offre du gouvernement et démolissent. »
Le maire explique que le programme actuel mis en place par le gouvernement donne au fond trois choix : « soit détruire, soit immuniser la maison [contre les inondations], soit la déménager. Le plus simple, le moins cher, c’est de détruire. Alors les gens détruisent. » À Beauceville seulement, dit-il, de 80 à 100 maisons seront détruites. « La COVID-19 a ralenti les démolitions. C’est un mal pour un bien. »
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du pays beauceron que la maison d’Élyse survit aux débordements de la rivière Chaudière. « Je me souviens, explique Pierre Bernard, ce que cela demandait d’efforts, à la suite des inondations. Mais là, le seul moyen qu’on trouve pour rendre hommage à ces efforts du passé est de tout démolir ? Après ce qu’on vient de faire vivre à nos aînés dans les CHSLD, je suis renversé de le constater. »
Le maire est à la recherche d’un entrepreneur, de quelqu’un capable de matérialiser la valeur unique de cette propriété au coeur de Beauceville. Il dit avoir contacté le ministère de la Culture. « On n’a pas eu beaucoup d’ouverture. On nous a dit qu’il en avait plusieurs [maisons] dans la même situation. »
La municipalité n’a jamais cité la maison pour en protéger l’intérêt patrimonial, comme la loi le lui permet. « Ça fait un an et demi que je suis là, explique le maire Veilleux. Je ne sais même pas si on peut faire ça. En tout cas, ça n’a jamais été fait autour de nous. »
« Ce n’est pas tant la maison familiale que je pleure, mais notre rapport général à l’architecture et au passé », explique Pierre Bernard en entrevue au Devoir. « Ces structures qui sont belles, évocatrices, qui témoignent de notre existence commune, je ne comprends pas qu’on en fasse si peu de cas. Que fait la ministre de la Culture ? Est-il possible, comme société, de dépasser le seul horizon des inondations et de voir plus haut que le niveau de l’eau ? “Je me souviens”, dit la devise, mais je veux me souvenir de quoi ? »
Une maison de 1770
À Saint-Joseph-de-Beauce, une maison datée des années 1770 a été démolie il y a deux semaines au nom de la même politique. Cette maison, affirme RadioCanada, aurait été occupée brièvement par le général américain Benedict Arnold. Cela est loin d’être prouvé, selon les informations auxquelles Le Devoir a pu avoir accès. Néanmoins, que le chef militaire américain l’ait visitée ou non n’enlève rien au rôle de témoin unique qu’avait cette maison, qui datait du temps où une partie de la population de la Beauce se montrait encline à soutenir les révolutionnaires qui voulaient débarrasser l’Amérique du Nord de la couronne britannique.
Au ministère de la Culture et des Communications, on indique au Devoir être « en contact avec le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation et le ministère de la Sécurité publique pour tenter de concilier les différents enjeux soulevés par les démolitions prévues au centre-ville de Saint-Joseph, notamment la préservation des bâtiments d’intérêt patrimoniaux », mais ne pas avoir « été informé de cette démarche au préalable ». Le ministère souligne toutefois que la maison en question « ne possédait aucun statut en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel » et ajoute que la demeure était visée « par les modalités prévues à la zone d’intervention spéciale décrétée par le gouvernement du Québec ».
Pour Gaston Cadrin du GIRAM, le ministère de la Culture refuse tout simplement de remettre en question la politique du gouvernement. « À quoi ça sert d’avoir des bâtiments sur des listes d’inventaires qui indiquent qu’elles sont importantes si c’est pour les laisser détruire ? Le ministère s’en lave les mains, tout simplement. »