Les aspirants préposés en CHSLD se bousculent au portillon
L’annonce d’une formation rapide pour devenir préposé en CHSLD a créé un fort engouement mardi : plus de 42 000 personnes s’y sont inscrites en quelques heures, non sans nourrir les craintes d’associations au sujet d’un exode des employés du secteur privé.
« Les inquiétudes se concrétisent », s’est désolé le président-directeur général du Regroupement québécois des résidences pour aînés, Yves Desjardins. « On a reçu des courriels de nos membres qui nous disent : je viens de perdre deux préposés, je viens d’en perdre quatre. »
Au point de presse de 13 h, le premier ministre François Legault a annoncé la création d’une formation accélérée pour les personnes souhaitant devenir préposés aux bénéficiaires en CHSLD. « Engagez-vous ! Inscrivez-vous ! » a-t-il lancé aux Québécois. Il a une fois de plus insisté sur l’aspect « valorisant » de cet emploi et rappelé le salaire de « 49 000 $ par année avec tous les avantages sociaux » qui l’accompagnent.
Quatre heures plus tard, 35 976 personnes avaient rempli le formulaire d’inscription à « l’attestation d’études professionnelles qui mène au poste de préposé en CHSLD ». Et les postulants ont continué de s’additionner jusqu’à dépasser 42 000.
Devant cet enthousiasme, les représentants des ressources d’hébergement privées ont une fois de plus sonné l’alarme. « Je sens globalement du désespoir. Les gens ont très peur », a affirmé M. Desjardins.
« C’est clair qu’il va y avoir de la désertion », a ajouté la directrice générale de l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec, Johanne Pratte.
Déjà, le personnel cherche à s’inscrire au nouveau programme, a-t-elle constaté. « On comprend qu’il y a une crise dans les CHSLD, mais en même temps, on a l’impression que, pour régler une crise, on est en train d’en provoquer une autre. »
Pour répondre aux inquiétudes, le premier ministre Legault a répété qu’il « faudra revoir le niveau de salaire des employés dans les résidences privées ».
« Nous allons revenir avec un programme très clair pour appuyer le côté privé », a ajouté le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, lors de la période des questions.
Ruée vers les inscriptions
Au seul Centre de formation professionnelle Fierbourg de Québec, pas moins de 1200 candidats se sont manifestés au cours des derniers jours. La formation habituelle, rémunérée à hauteur de 15 000 $ par année, attire normalement de 250 à 300 étudiants, a dit la directrice, Mélissa Laflamme.
L’engouement a été semblable à l’École des métiers des Faubourgs et de l’horticulture de Montréal. Les deux réceptionnistes peinaient mardi à contenir le volume d’appels, a raconté la directrice, Josée Péloquin.
Elle en a donc déduit que l’établissement qu’elle dirige est l’un des 52 centres de services scolaires qui donneront la formation de 375 heures, entre le 15 juin et le 15 septembre. « Je n’ai pas eu d’informations du gouvernement au sujet de la formation », a-telle déclaré au Devoir.
Dans un souci d’être proactive, la directrice du plus grand centre de formation professionnelle du Québec a dit avoir « déjà commencé à demander aux enseignants s’ils étaient libres cet été », avoir lancé des embauches et aménagé des laboratoires d’enseignement supplémentaires.
Devant les journalistes, le premier ministre Legault a affirmé qu’il serait « content » s’il parvenait à « régler la situation dans les CHSLD » d’ici la fin de son mandat en politique. « Juste faire ça, pour moi, ça serait un grand accomplissement. Et je vais m’en assurer », a-t-il déclaré.
Formation au rabais ?
Ses ambitions ont été accueillies avec certaines réserves dans les milieux scolaire et syndical. « Je ne vous cacherai pas que j’ai certaines inquiétudes quant au nombre d’heures de formation qui sont octroyées pour travailler en CHSLD », a déclaré Mélissa Laflamme.
Elle aurait préféré que Québec mette en place un « incitatif » afin que les diplômés de la formation rapide reviennent ensuite terminer leurs études.
« On aurait pu s’adapter et le faire dans un format à temps partiel, prolongé sur quelques années, afin qu’ils obtiennent la formation », a-t-elle dit.
La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) a fait une suggestion semblable. « Nous sommes d’avis que la formation ne doit pas se terminer en septembre, mais plutôt se poursuivre et se compléter jusqu’à la diplomation », a écrit le syndicat dans un communiqué coiffé du titre « Un objectif irréaliste à repenser ».
Le ministre de l’Éducation, JeanFrançois Roberge, s’est défendu de donner « des diplômes au rabais ». Puisque la nouvelle attestation concerne spécifiquement le travail en CHSLD, il estime que celle-ci est « complémentaire » à la formation offerte au diplôme d’études professionnelles (DEP). « Le [DEP] demeure. Il est plus long, mais il permet de travailler dans divers milieux. Donc, il est plus exigeant en termes de temps, puis il ouvre davantage de portes », a-til déclaré.
Le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (CSN), Jeff Begley, s’est quant à lui dit préoccupé par les effets pervers de cette nouvelle formation.
« Est-ce qu’on va vider nos hôpitaux des préposés aux bénéficiaires ? » a-til demandé.
À son avis, des préposés seront tentés de quitter les centres hospitaliers pour travailler en CHSLD, où ils seront mieux rémunérés.
Est-ce qu’on va vider nos hôpitaux des préposés »
aux bénéficiaires ? JEFF BEGLEY