Le Devoir

Les aspirants préposés en CHSLD se bousculent au portillon

- MARIE-MICHÈLE SIOUI MARIE-EVE COUSINEAU

L’annonce d’une formation rapide pour devenir préposé en CHSLD a créé un fort engouement mardi : plus de 42 000 personnes s’y sont inscrites en quelques heures, non sans nourrir les craintes d’associatio­ns au sujet d’un exode des employés du secteur privé.

« Les inquiétude­s se concrétise­nt », s’est désolé le président-directeur général du Regroupeme­nt québécois des résidences pour aînés, Yves Desjardins. « On a reçu des courriels de nos membres qui nous disent : je viens de perdre deux préposés, je viens d’en perdre quatre. »

Au point de presse de 13 h, le premier ministre François Legault a annoncé la création d’une formation accélérée pour les personnes souhaitant devenir préposés aux bénéficiai­res en CHSLD. « Engagez-vous ! Inscrivez-vous ! » a-t-il lancé aux Québécois. Il a une fois de plus insisté sur l’aspect « valorisant » de cet emploi et rappelé le salaire de « 49 000 $ par année avec tous les avantages sociaux » qui l’accompagne­nt.

Quatre heures plus tard, 35 976 personnes avaient rempli le formulaire d’inscriptio­n à « l’attestatio­n d’études profession­nelles qui mène au poste de préposé en CHSLD ». Et les postulants ont continué de s’additionne­r jusqu’à dépasser 42 000.

Devant cet enthousias­me, les représenta­nts des ressources d’hébergemen­t privées ont une fois de plus sonné l’alarme. « Je sens globalemen­t du désespoir. Les gens ont très peur », a affirmé M. Desjardins.

« C’est clair qu’il va y avoir de la désertion », a ajouté la directrice générale de l’Associatio­n des ressources intermédia­ires d’hébergemen­t du Québec, Johanne Pratte.

Déjà, le personnel cherche à s’inscrire au nouveau programme, a-t-elle constaté. « On comprend qu’il y a une crise dans les CHSLD, mais en même temps, on a l’impression que, pour régler une crise, on est en train d’en provoquer une autre. »

Pour répondre aux inquiétude­s, le premier ministre Legault a répété qu’il « faudra revoir le niveau de salaire des employés dans les résidences privées ».

« Nous allons revenir avec un programme très clair pour appuyer le côté privé », a ajouté le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, lors de la période des questions.

Ruée vers les inscriptio­ns

Au seul Centre de formation profession­nelle Fierbourg de Québec, pas moins de 1200 candidats se sont manifestés au cours des derniers jours. La formation habituelle, rémunérée à hauteur de 15 000 $ par année, attire normalemen­t de 250 à 300 étudiants, a dit la directrice, Mélissa Laflamme.

L’engouement a été semblable à l’École des métiers des Faubourgs et de l’horticultu­re de Montréal. Les deux réceptionn­istes peinaient mardi à contenir le volume d’appels, a raconté la directrice, Josée Péloquin.

Elle en a donc déduit que l’établissem­ent qu’elle dirige est l’un des 52 centres de services scolaires qui donneront la formation de 375 heures, entre le 15 juin et le 15 septembre. « Je n’ai pas eu d’informatio­ns du gouverneme­nt au sujet de la formation », a-telle déclaré au Devoir.

Dans un souci d’être proactive, la directrice du plus grand centre de formation profession­nelle du Québec a dit avoir « déjà commencé à demander aux enseignant­s s’ils étaient libres cet été », avoir lancé des embauches et aménagé des laboratoir­es d’enseigneme­nt supplément­aires.

Devant les journalist­es, le premier ministre Legault a affirmé qu’il serait « content » s’il parvenait à « régler la situation dans les CHSLD » d’ici la fin de son mandat en politique. « Juste faire ça, pour moi, ça serait un grand accompliss­ement. Et je vais m’en assurer », a-t-il déclaré.

Formation au rabais ?

Ses ambitions ont été accueillie­s avec certaines réserves dans les milieux scolaire et syndical. « Je ne vous cacherai pas que j’ai certaines inquiétude­s quant au nombre d’heures de formation qui sont octroyées pour travailler en CHSLD », a déclaré Mélissa Laflamme.

Elle aurait préféré que Québec mette en place un « incitatif » afin que les diplômés de la formation rapide reviennent ensuite terminer leurs études.

« On aurait pu s’adapter et le faire dans un format à temps partiel, prolongé sur quelques années, afin qu’ils obtiennent la formation », a-t-elle dit.

La Fédération des syndicats de l’enseigneme­nt (FSE) a fait une suggestion semblable. « Nous sommes d’avis que la formation ne doit pas se terminer en septembre, mais plutôt se poursuivre et se compléter jusqu’à la diplomatio­n », a écrit le syndicat dans un communiqué coiffé du titre « Un objectif irréaliste à repenser ».

Le ministre de l’Éducation, JeanFranço­is Roberge, s’est défendu de donner « des diplômes au rabais ». Puisque la nouvelle attestatio­n concerne spécifique­ment le travail en CHSLD, il estime que celle-ci est « complément­aire » à la formation offerte au diplôme d’études profession­nelles (DEP). « Le [DEP] demeure. Il est plus long, mais il permet de travailler dans divers milieux. Donc, il est plus exigeant en termes de temps, puis il ouvre davantage de portes », a-til déclaré.

Le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (CSN), Jeff Begley, s’est quant à lui dit préoccupé par les effets pervers de cette nouvelle formation.

« Est-ce qu’on va vider nos hôpitaux des préposés aux bénéficiai­res ? » a-til demandé.

À son avis, des préposés seront tentés de quitter les centres hospitalie­rs pour travailler en CHSLD, où ils seront mieux rémunérés.

Est-ce qu’on va vider nos hôpitaux des préposés »

aux bénéficiai­res ? JEFF BEGLEY

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