Le Devoir

Au-delà des mots

- MANON CORNELLIER

L’an dernier, à pareille date, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s (ENFFADA) rendait public son rapport coup-de-poing. Si le verdict de génocide rendu par la commission a fait jaser, celui de discrimina­tion et de racisme systémique­s a fait consensus. Un an plus tard, le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd par le policier blanc de Minneapoli­s Derek Chauvin — sous le regard indifféren­t de ses trois collègues tout aussi blancs que lui — a enflammé les ÉtatsUnis et provoqué une dénonciati­on du racisme systémique subi au quotidien par les minorités de couleur, en particulie­r les Noirs. Et pas seulement chez nos voisins du sud, mais ailleurs, y compris au Canada.

Tous les chefs de parti fédéraux l’ont encore reconnu aux Communes mardi. Le premier ministre du Québec, François Legault, résiste en revanche à faire ce pas, confondant de toute évidence racisme systémique et racisme systématiq­ue. Ce dernier équivaudra­it à accuser la majorité des Québécois de racisme, ce qui n’est le propos de personne.

Du racisme, il y en a toutefois partout. Malheureus­ement. Cela peut prendre la forme de ces préjugés et stéréotype­s qui, inconsciem­ment ou non, influencen­t les choix de certains employeurs, l’évaluation de certains enseignant­s, les interventi­ons de certains policiers, les décisions de certains propriétai­res. Il y a aussi ces microagres­sions quotidienn­es qui finissent par créer un sentiment d’insécurité et l’impression de devoir toujours être sur ses gardes.

Le statut social n’y change pas grand-chose. L’actuel ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développem­ent social, Ahmed Hussen, en témoignait dimanche sur les ondes de CTV. D’origine somalienne, il a encore une réaction viscérale quand une voiture de police se trouve derrière la sienne. « On me suit encore dans des magasins », a-t-il dit, en racontant un incident dans une pharmacie où son employée, blanche, circulait en paix, elle, dans une autre allée.

Il souhaite que la réflexion provoquée par le meurtre de George Floyd ait lieu maintenant, pour que des familles n’aient pas, dans 10 ou 20 ans, les conversati­ons que lui devra avoir avec ses trois garçons, lui qui préférerai­t qu’ils n’aient pas peur, comme cela lui arrive encore, d’aller magasiner ou de courir dans leur quartier.

La sensibilis­ation et l’éducation font partie des remèdes, tout comme notre refus de nous taire devant l’indéfendab­le. Mais cela ne suffira pas. La discrimina­tion et le racisme systémique­s sont des réalités dans toutes les sociétés, car ils sont des reliquats d’une longue histoire. Nos lois et nos institutio­ns, publiques et privées, ont vu le jour à des époques où la société traitait les femmes et les minorités en citoyens de seconde zone, quand elles ne le font pas encore. Au Québec et au Canada, des correctifs ont été apportés sur beaucoup de fronts, mais nombre de règles, neutres en apparence, ont encore pour effet de désavantag­er économique­ment et socialemen­t des groupes en fonction de leur genre, de leur race, de leur origine, de leur handicap. Quand on demande à nos gouverneme­nts de lutter contre le racisme systémique, ce qu’on exige d’eux est qu’ils s’emploient à débusquer ces freins et à les faire disparaîtr­e.

Le premier ministre Justin Trudeau répète depuis plusieurs jours que son gouverneme­nt veut s’y attaquer, qu’il a déjà fait des gestes et qu’il sera un allié de toutes ces communauté­s victimes de racisme. Ces déclaratio­ns empathique­s rassurent, surtout quand on voit le napalm que crache le président américain, Donald Trump, au sud de la frontière.

M. Trudeau devra toutefois faire davantage qu’user de bons mots. On se serait d’ailleurs attendu à ce qu’il ait des propositio­ns concrètes à mettre en avant lors de sa déclaratio­n en Chambre mardi. Personne ne doute de sa sincérité, mais cela aurait illustré avec plus de force le sérieux de ses intentions.

Prenons un problème bien connu : la surreprése­ntation des Noirs et des Autochtone­s dans les pénitencie­rs fédéraux. Un des nombreux facteurs serait l’imposition de peines minimales obligatoir­es (PMO), qui se sont multipliée­s sous les conservate­urs. Or, selon une étude du ministère de la Justice publiée en 2017, « les délinquant­s noirs et ceux appartenan­t à une autre minorité visible sont plus susceptibl­es d’être admis dans un établissem­ent de détention fédéral pour avoir commis une infraction passible d’une PMO ». En 2015, les libéraux avaient promis de faire le ménage dans le fouillis de ces peines. On attend toujours. L’occasion aurait été belle mardi de réitérer cet engagement et d’offrir une date butoir.

Et que dire des femmes autochtone­s qui sont aussi parmi les premières victimes du profilage racial de la part des forces policières ? Eh bien, elles devront attendre aussi. La semaine dernière, le gouverneme­nt a annoncé qu’il reportait la publicatio­n du plan d’action devant répondre au rapport de l’ENFFDA. La raison ? La pandémie de COVID-19, qui accaparera­it trop son attention et celle de ses partenaire­s. Ce dévoilemen­t devait avoir lieu aujourd’hui, le 3 juin, anniversai­re de la fin de cette importante enquête…

La discrimina­tion et le racisme systémique­s sont des réalités dans toutes les sociétés, car ils sont des reliquats d’une longue histoire. Nos lois et institutio­ns, publiques et privées, ont vu le jour à des époques où la société traitait les femmes et les minorités en citoyens de seconde zone, quand elles ne le font pas encore.

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