Le séjour se prolonge
La baleine à bosse qui s’est égarée à Montréal continue d’attirer les curieux au quai de l’Horloge, là où ils peuvent admirer ses cabrioles
La baleine à bosse qui a remonté le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Montréal risque de demeurer dans la région pendant quelques semaines, selon les experts qui suivent la situation de cet animal, qui se trouve à des centaines de kilomètres de son habitat naturel et qui risque d’être heurté par un bateau.
Quatre jours après son arrivée à Montréal, la baleine à bosse qui attire de plus en plus de curieux au quai de l’Horloge, dans le Vieux-Port, était toujours présente dans le même secteur mardi. Elle continue donc de nager à contre-courant, dans le fleuve, entre l’île Sainte-Hélène et l’entrée du Vieux-Port. Lundi, après avoir passé toute la journée sans effectuer de déplacements significatifs, elle a même effectué un total de 50 sauts hors de l’eau en début de soirée.
Le directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), Robert Michaud, explique que les experts se préparent d’ailleurs à une situation qui risque de perdurer, même s’ils souhaitent que l’animal reparte de luimême vers l’estuaire du Saint-Laurent. « Les cas documentés ailleurs ont habituellement duré au moins une dizaine, voire une quinzaine de jours », rappelle-t-il.
« Selon nos scénarios de départ, on se disait que lorsque la baleine atteindrait un cul-de-sac, elle pourrait tourner de bord et repartir. Mais si elle reste, elle pourrait rester quelques semaines. Notre plan A, maintenant, c’est de prévoir que l’animal restera sur place pendant au moins deux semaines », ajoute celui qui étudie les cétacés du Saint-Laurent depuis plus de 35 ans. Un protocole de suivi quotidien du comportement de cette jeune baleine à bosse est d’ailleurs déjà en place. Les scientifiques prévoient également de suivre l’évolution de la condition physique et de la santé de l’animal, notamment en menant régulièrement des opérations pour le photographier.
Risques de collisions
Plusieurs citoyens rencontrés par Le Devoir au quai de l’Horloge au cours des derniers jours ont suggéré l’idée d’émettre des sons sous l’eau pour effaroucher la baleine, ou alors pour l’attirer vers la portion aval du Saint-Laurent. Ce type de stratégie existe bel et bien, dit Robert Michaud. « Mais les expériences tentées auparavant n’ont pas démontré de résultats satisfaisants, et quand il y a eu des résultats, il était question de très courtes distances. Ici, nous avons un animal qui a plus de 400 kilomètres à faire, il y a donc plus de risques, puisqu’un réflexe de fuite risquerait de l’amener à commettre des erreurs et à s’échouer. »
Des citoyens ont également évoqué la nécessité d’installer une balise sur cet animal, afin de suivre ses déplacements. « Il existe des risques importants pour l’animal si on utilise une telle balise sous-cutanée, puisqu’il n’a pas les anticorps pour combattre les pathogènes en eau douce. Qui plus est, l’animal fait l’objet d’une surveillance continue. Quelle que soit sa position, elle nous sera signalée rapidement », précise Robert Michaud.
Pour le moment, il souligne que le principal risque est une collision avec un navire, ou encore avec une embarcation de plaisanciers. « Et les risques sont partagés. Si une moto marine passe près de la baleine, alors qu’elle se repose, il est impossible de prévoir sa réaction. » Lundi et mardi, Le Devoir a d’ailleurs été témoin d’au moins sept situations où des bateaux sont passés directement et à pleine vitesse dans la zone restreinte où se trouvait la baleine, malgré la réglementation fédérale, qui oblige à garder une distance minimale de 100 mètres d’un mammifère marin. Ce type de situation peut entraîner des blessures mortelles pour un cétacé.
La circulation des plaisanciers fait pourtant l’objet d’une surveillance, assurent les autorités. Et le Vieux-Port a précisé que la marina ne sera pas ouverte avant le 19 juin. « Nous collaborerons avec les organismes impliqués si jamais la baleine se trouvait toujours dans les parages à ce moment-là », a indiqué un porte-parole.
Sauts mystérieux
Au-delà des risques réels pour la survie de l’animal à court et à moyen terme, cette baleine suscite de plus en plus d’intérêt, surtout depuis que les images de ses sauts spectaculaires hors de l’eau ont été diffusées. Samedi, dimanche et lundi, cette baleine à bosse âgée de deux ou trois ans a multiplié les sauts en début de soirée.
Comment expliquer ce comportement ? « Il existe plusieurs fonctions possibles, mais dans le cas précis de cet animal, je ne crois pas qu’il y ait une explication précise. Même pour les animaux qui vivent librement, dans leur milieu naturel, il n’existe pas d’explication unique pour ces sauts », résume M. Michaud. Les sauts peuvent être utilisés notamment pour la communication avec les autres baleines, pour exprimer un stress ou de l’agressivité, mais aussi pour jouer, ce qui expliquerait que ce sont des comportements plus fréquents chez les jeunes. »
Il est par ailleurs « possible » que la baleine à bosse puisse s’alimenter dans le tronçon fluvial, où on ne retrouve pas les proies, comme le hareng ou le capelan. Dans le cas contraire, on risque de voir « une détérioration de sa condition physique. On ne parle pas de jours, mais bien de semaines », fait-il valoir.