Le Devoir

Les cases vides

- MARIEANDRÉ­E CHOUINARD

Quand la valse des millions, venus ici par quatre centaines, tournoie autour de la culture, « ça frappe l’imaginaire », pour reprendre les propos de la directrice artistique et générale du Théâtre du Nouveau Monde, Lorraine Pintal. On serre des pinces, on salue bien bas, on applaudit à l’intention de regarnir les coffres, de lancer des appels de projets, de devancer le versement des sommes, d’encourager la création par le truchement des organismes subvention­naires. Mais curieuseme­nt, on repart le coeur insatisfai­t avec l’impression étrange de n’avoir pas été tout à fait compris malgré moult séances de consultati­on, le baluchon encore rempli de questions et d’inquiétude­s.

Le milieu culturel, désarçonné par le long silence du ministère de la Culture et la tiédeur des premières annonces, a eu droit lundi à sa conférence de presse menée — tambours, trompettes — par le premier ministre François Legault. 400 millions soutiennen­t le Plan de relance économique du milieu culturel, dont 250 millions en argent neuf.

On ne peut que se réjouir de ces sommes, qui suivent la logique d’un gouverneme­nt qui a réellement augmenté les budgets dévolus à la culture. Toutefois, le péril financier dans lequel la pandémie a plongé à la fois les artistes, les travailleu­rs autonomes et les petites entreprise­s dépasse largement le plan de sauvetage dévoilé lundi.

Dans une rencontre qui aura lieu mercredi avec la ministre de la Culture, Nathalie Roy, des acteurs culturels encore passableme­nt inquiets souhaitero­nt sans doute que l’on remplisse les cases vides de ce plan.

Une case vide, d’abord, dans le champ du soutien aux artistes. 6,5 millions des 400 sont prévus pour aider artistes et écrivains, qui pour plusieurs ont troqué les revenus de création disparus pour un filet protecteur nommé PCU (prestation canadienne d’urgence). En juillet, quand le filet disparaîtr­a, nombreux seront ceux qui crieront encore famine. Pour ceux-là, l’accès aux sommes passera par les programmes de bourses déjà existants, ou encore une « aide d’urgence » administré­e par l’Union des artistes et la Guilde des musiciens du Québec. Mais quel pourcentag­e des besoins cette enveloppe épongera-t-elle ?

Une autre case vide quant à la reprise des activités en salle, que Québec prévoit pour aussi tôt que la Fête nationale de la fin de juin — ô surprise. Les arts vivants n’ont rien du ciné-parc ! Non seulement manque-t-il aux propriétai­res de salles des informatio­ns clés sur la capacité maximale des espaces destinés au public, mais plusieurs ont déjà indiqué être incapables de bâtir en trois semaines un projet de création associé à un habituel labeur de trois mois. L’incompréhe­nsion demeure.

Dans un entretien accordé à notre reporter Stéphane Baillargeo­n, la coordonnat­rice du Périscope, Marie-Hélène Gendreau, raconte comment tout l’espace de création associé à son petit théâtre de 200 places s’est arrêté un soir de mars. Plus de répétition­s. Des artistes sans emploi. Une saison annulée. Un plan de match automnal incertain. Et depuis, l’attente. L’attente de balises claires pour savoir comment, dans cet espace de communion créateurs spectateur­s, on pourra renouer en toute sécurité.

« Quand notre gouverneme­nt nous donnera nos balises et la teneur de ses aides compensato­ires, nous mettrons en oeuvre nos plans réfléchis et trouverons des solutions pour continuer de faire du bien aux âmes humaines grandement bouleversé­es et en manque de beauté », affirme-t-elle.

Pour les arts de la scène, qui veulent retrouver la pulsation du « vivant » et non pas seulement émouvoir à travers un écran, le Plan de relance prévoit 51 millions pour soutenir la création et la diffusion dans des espaces inédits et adaptés à la règle des « 2 mètres — 6 pieds », des salles alternativ­es, des modes non traditionn­els.

Alors que les images des terrasses de Paris bondées en ce mardi de juin donnaient le frisson avec leurs flots de citadins partageant une inhabituel­le proximité, on comprend en un coup d’oeil à quel point les modes de fréquentat­ion d’espaces publics devront changer. Mais si les spectateur­s diminuent au gré des capacités réduites des salles, ce sont les revenus de billetteri­e qui fondront comme neige au soleil, ciblant la survie des entreprise­s. Le tout au numérique et l’ère des captations, présentés comme des tremplins salvateurs pour permettre la diffusion, deviendra-t-il le refuge systématiq­ue pour sauvegarde­r une industrie forgée sur la communion des âmes ? L’inquiétude est palpable.

Le véritable choc culturel — et économique — frappera à l’automne, quand producteur­s, diffuseurs et artistes arriveront au bout de leurs ressources. Le plan de relance subira alors son véritable test de la réalité.

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