Lettre à monsieur Jolin-Barrette
En trois ans, j’ai eu la chance de visiter votre pays à cinq reprises. En 2018, j’y ai emmené ma fille et elle est tombée amoureuse du Québec. Quelques jours avant notre retour au Maroc, elle m’a dit : « C’est ici que j’ai envie de poursuivre mes études et c’est certainement ici que je voudrais fonder une famille et vivre. » Je crois qu’elle a ajouté des choses du genre « prépare donc ta carte bleue et prépare-toi, mon papounet adoré, à être saigné à blanc et pendant qu’on y est, ce sera un quatre et demie, sinon rien ! » mais bon, cela n’est pas le propos. Ou peut-être si ! Aujourd’hui, ma fille de 18 ans poursuit ses études à Montréal pour obtenir son diplôme d’études professionnelles (DEP). J’ai payé les frais de scolarisation et depuis bientôt un an, je continue à payer toutes les charges lui permettant de vivre dignement dans un pays qui a bien voulu l’accueillir et qui lui a donné des droits que vous êtes aujourd’hui en train de lui enlever.
Dois-je comprendre que tout ce que nous avons investi en temps, en argent et en énergie n’a finalement servi à rien ? Sachez, Monsieur, que la moitié des parents qui envoie ses enfants étudier chez vous n’a pas joué dans Casa de Papel et que l’autre moitié n’a même pas passé le casting d’Ocean’s Eleven. Ce sont des gens simples qui ont fait des privations un mode de vie et qui ont beaucoup de mal à joindre les deux bouts. Mais malgré cela, ils se battent tous les jours pour assurer une vie décente à leurs enfants.
Lors de ma dernière visite, j’ai soupé un soir — en bon touriste parfaitement intégré, vous remarquerez que je n’ai pas dit « dîné » — chez des amis qui ont fait leurs études à Montréal, qui y vivent depuis 18 ans et qui y sont parfaitement intégrés. À un moment, la conversation a dévié sur la vie au Canada, ses différentes provinces, son gouvernement ainsi que sur la politique de monsieur Justin Trudeau à l’égard des Canadiens en général, et des nouveaux arrivants en particulier. Je me souviens leur avoir dit de profiter, eux, et leurs enfants, de chaque instant du mandat de ce premier ministre et d’en savourer la moindre seconde, car ils n’auront certainement plus l’occasion d’avoir, avant très longtemps, un premier ministre aussi cool, aussi sympa, mais surtout aussi humain que lui. Je crois même avoir ajouté : « Le jour où Justin ne sera plus prem’s, envoyez-le nous, car le nôtre de premier ministre, on dirait un bébé d’un an en train d’essayer d’assembler un puzzle de 1000 pièces et j’ai la trouille de lui confier l’avenir de mes enfants », mais bon, cela n’est pas le propos non plus.
Le plus urgent, aujourd’hui, c’est qu’il y a un petit nuage qui essaie d’obscurcir le beau ciel du Canada. Ce nuage, c’est vous, Monsieur Simon Jolin-Barette, mais heureusement, comme tous les nuages, vous ne faites que passer.
Un papa un peu très en colère.
Yassine Zizi Le 1er juin 2020