Le Devoir

Le plan culturel de Québec est-il adéquat ?

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Pour permettre au milieu culturel de faire face à la crise, le gouverneme­nt québécois a annoncé lundi un plan de relance prévoyant des investisse­ments de 400 millions de dollars sur deux ans. Une interventi­on adaptée aux besoins réels du milieu ? François Colbert, titulaire de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi Marcoux et professeur à HEC Montréal, livre ses réflexions sur la question. Propos recueillis par Caroline Montpetit.

Selon vous, est-ce que le plan présenté par Québec est adéquat dans les circonstan­ces ?

D’après ce que je comprends, il y a des porte-parole du milieu artistique qui avaient demandé une rencontre avec les représenta­nts du gouverneme­nt. Cette rencontre doit avoir lieu mercredi, et l’annonce a été faite lundi. Il me semble qu’ils auraient pu attendre. Il y a 400 millions de dollars de ventilés et on ne connaît pas encore le détail de la façon dont ils seront dépensés. Et il y a une réalité à laquelle le cabinet n’a pas pensé, c’est le fait que le domaine des arts vivants n’est pas le même que celui de la captation télévisuel­le. D’un point de vue de marketing, c’est complèteme­nt une autre expérience. C’est la raison pour laquelle les cinémas ne se sont pas vidés même si les films sont accessible­s sur un écran de téléphone. Il s’agit pour le public de faire l’expérience de voir des acteurs vivants, sinon les arts vivants n’existent pas.

Dans les salles de théâtre, de danse et de musique, si on prend les chiffres globalemen­t, on constate qu’entre 30 et 80 % des revenus proviennen­t de la billetteri­e. S’il n’y a pas de billets vendus… Les conseils des arts vont continuer leurs subvention­s de fonctionne­ment pour assurer la permanence, mais tous les artistes ne seront pas engagés, parce qu’il n’y aura pas de spectacles et que ce sont des pigistes.

Mais on annonce pourtant que les salles vont rouvrir…

Oui, mais si les salles rouvrent et qu’elles fonctionne­nt au tiers de leurs capacités, alors que ça leur prendrait une salle pleine à 60 ou 70 % pour boucler leurs budgets, il va manquer de l’argent, l’argent que la billetteri­e aurait apporté. Et dans la pire des situations, s’il n’y a pas de billetteri­e, c’est un peu difficile d’aller chercher des mécènes, des commandita­ires, parce qu’il n’y a rien qui bouge. Je pense que la réaction des gouverneme­nts a été bonne, parce qu’on a réussi à garder les compagnies en vie malgré le fait que les saisons ont été annulées par le coronaviru­s. Ça n’est pas le cas aux États-Unis, où il y a des compagnies qui ferment parce qu’elles n’ont pas de subvention­s publiques. Elles perdent tous leurs revenus, donc elles sont obligées de fermer. Au Canada, c’est vrai que les artistes ont eu accès à une subvention, mais s’il n’y a pas de saison à l’automne, ils ne seront pas payés. On ne peut pas recommence­r les saisons à la dernière minute. Il faut reprendre les répétition­s, et cela peut prendre trois mois. Alors, on a beau dire que le 25 juin, ça va rouvrir, ça n’est pas aussi simple que cela.

On demande aux artistes d’être créatifs, mais il est bien sûr difficile pour eux de reprendre leur travail à zéro…

Ils peuvent être créatifs. Les artistes qui sont déjà dans le numérique, ça va les aider. Mais pour ce qui est des production­s télévisuel­les et des production­s de films, s’il faut garder une distance physique, je ne suis pas sûr que ça va marcher. Et ceux qui sont spécialisé­s en arts vivants, qui ont des compagnies de danse ou de théâtre, ce qu’ils connaissen­t, c’est ça. Le numérique, ils ne connaissen­t pas ça. Alors, tout recommence­r pour dire, à la dernière minute, on fait du numérique, ça n’est pas simple.

Est-ce qu’on aurait pu faire mieux ?

Je pense qu’on aurait pu décliner autrement. C’est une bonne idée d’encourager le numérique, mais pas dans un tel état de panique, où l’avenir n’est pas reluisant. Il y a des choses en numérique que l’Orchestre symphoniqu­e de Montréal pourrait faire ou que les Grands Ballets pourraient faire, mais ça serait complèteme­nt autre chose. J’ai vu une captation numérique qui a été faite par le Miami City Ballet. C’était absolument fantastiqu­e : deux danseurs, dont la captation a été faite séparément. Ils s’approchent, mais ne se touchent jamais parce que c’est virtuel. C’est bien, mais ça n’est pas l’expérience d’être là dans la salle. Et puis, il faut développer la connaissan­ce. C’est un autre show. Il faut recommence­r.

En fin de compte, ce sont les artistes qui vont souffrir. Les conseils des arts maintienne­nt les subvention­s de fonctionne­ment pour au moins garder les permanence­s des organismes. Mais les artistes qui ne sont pas engagés, ils ne travaillen­t pas. Les metteurs en scène ne travaillen­t pas. Ils sont pris. Et même les organismes qui comptent moins sur la billetteri­e, ils vont fonctionne­r à perte. Le type d’aide qui est avancé n’est pas celui dont les arts vivants ont besoin.

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GETTY IMAGES La captation numérique de prestation­s n’équivaut pas à rendre compte de leur expérience en salle, souligne François Colbert.

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