Le Devoir

Laissés en plan par le plan

Des points positifs, et beaucoup de flou, demeurent après le dévoilemen­t de la relance du ministère de la Culture et des Communicat­ions

- NATALIA WYSOCKA

Lors du plan de relance de la culture dévoilé par Québec lundi, beaucoup de chiffres ont été, justement, lancés. Une certaine confusion s’est installée. Un flou, peut-être.

Lors de l’annonce, la ministre de la Culture et des Communicat­ions, Nathalie Roy, a dévoilé un investisse­ment de 250 millions en nouvel argent sur 400 millions. Le lendemain, certains commentate­urs ont dit qu’il s’agissait plutôt de 290 millions. Le premier chiffre est néanmoins exact, confirme le cabinet.

On a également annoncé une réouvertur­e possible des salles pour le 24 juin avec une capacité « de 30, 40, 50 % ». « Ces chiffres sont complèteme­nt nouveaux pour nous, lance David Laferrière. Et la date du 24 juin, elle sort un peu d’une boîte à surprises. » Certes, le président de l’Associatio­n profession­nelle des diffuseurs de spectacles RIDEAU dit être heureux à l’idée que les lieux puissent en venir à accueillir des spectateur­s à nouveau. « Mais il n’y aura pas une salle d’envergure qui sera en mesure d’ouvrir à ce moment-là, prévient-il. Nos équipes pour la plupart sont soit au chômage, soit sur la PCU [prestation canadienne d’urgence]. Il va falloir revoir notre programmat­ion. »

Sur le site du ministère, on lit néanmoins que les studios d’enregistre­ment et les « captations de spectacles sans public » ont pu reprendre leurs activités sur l’ensemble du territoire le 1er juin. Mais quels spectacles étaient prêts, hier, à se faire « capter » ?

« Premier pas »

Les arts de la scène, qui incluent sur le site du ministère de la Culture et des Communicat­ions (MCC) le théâtre, la danse, le cirque, « et cetera » ont obtenu une enveloppe de 50,9 millions. Destinée notamment à créer des spectacles adaptés au contexte de la pandémie de COVID-19 dans toutes les régions du Québec. Et ce, dans « des lieux physiques inédits et adaptés au contexte de distanciat­ion physique ». Une bonne nouvelle pour tous ceux déplorant l’appel répété à avoir recours au numérique depuis le début de la crise.

Le Regroupeme­nt québécois de la danse (RQD) a salué ces « premiers pas ». Néanmoins, plusieurs de ses membres sont inquiets. Notamment du fait que les spécificit­és du milieu n’ont pas forcément été prises en compte. Et du fait que la ministre Roy a beaucoup insisté sur la création en parlant des appels de projets.

Ceux qui ont été annoncés par le MCC à date sont intitulés Ambition Numérique et Rayonnemen­t Numérique (mot-clé numérique). Les deux s’ouvrent le 8 juin et les détails sont déjà disponible­s. Les détails des appels à projet du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), eux, seront connus ce même jour.

Ce procédé « nous pousse à créer de nouveaux projets et à laisser en suspens ce qui existait déjà, note la chorégraph­e Mélanie Demers. On nous propulse vers une mentalité productivi­ste de refaire, refaire, refaire. Alors qu’on se demande : comment faire pour sauver les oeuvres que l’on a dû abandonner ? »

Quand la pause a été décrétée, la directrice artistique et générale de la compagnie MAYDAY était en tournée au Mexique. Jusqu’en octobre, elle a vu

annuler une trentaine de spectacles, dans six pays différents.

« Nous nous rendons compte que les arts vivants vont devoir obéir aux appels de projets. Mais nous n’avons pas besoin de directeur artistique, nous en sommes tous. Ce dont nous avons besoin, c’est d’appui et de support. D’une jachère pour pouvoir repartir la machine sur des bases plus profondes, plus engagées. Et d’un accompagne­ment sanitaire et financier pour contrebala­ncer les oubliés des mesures mises en place. Les technicien­s, les dramaturge­s, les concepteur­s. »

Une des grandes préoccupat­ions est également ces 6,5 millions destinés assez vaguement aux « artistes et écrivains ». Ce montant sera réparti en deux. Il servira à bonifier les programmes de bourses et à créer un fonds d’urgence. Deux actes fort distincts, remarque Mélanie Demers.

Ledit fonds sera géré par l’Union des artistes et la Guilde des musiciens et musicienne­s du Québec. Il est également destiné à des personnes « en situation extrême », comme l’a souligné Nathalie Roy lors de la conférence.

Qu’entend-on par « situation extrême » ? « Nous sommes en attente de propositio­ns de l’Union des artistes et de la Guilde des musicienne­s et musiciens du Québec à ce sujet », nous a répondu le cabinet de la ministre.

Ce fonds, le directeur général du Regroupeme­nt des artistes en arts visuels du Québec Bernard Guérin le compare un peu à « un pot-pourri ». « Dans l’onglet destiné aux bourses, on parle d’écriture de chanson, de peinture, de projet photograph­ique, de montage de film, énumère-t-il. On ne parle pas, précisémen­t et uniquement, d’arts visuels. » Tout comme on n’en a pas parlé durant le dévoilemen­t du projet de relance. La discipline en tant que telle n’a pas été nommée, déplore le directeur.

Certes, l’ouverture des musées a été annoncée dans la première phase, le 22 mai. Mais ce n’est pas tout. C’est loin d’être tout, souligne M. Guérin. « Si on parle des institutio­ns, il faut aussi parler de la création. C’est toute une chaîne économique qui se tient. S’il n’y a pas d’oeuvres à exposer, il n’y aura rien sur les murs des musées. »

« Angles morts »

Coprésiden­t du RQD, Lük Fleury remarque lui aussi « des angles morts qui ne sont pas couverts par le plan ». « La ministre Roy a souligné que les organismes avaient reçu d’avance la moitié de leurs subvention­s pour l’année suivante, mais c’était de l’argent prévu. Les organismes émergents, qui sont sur la programmat­ion spécifique soutenus de manière plus ponctuelle, ne savent pas si leur financemen­t sera garanti. »

Comme plusieurs autres, le chorégraph­e et directeur artistique de la compagnie de gigue contempora­ine BIGICO s’inquiète de la fin imminente de la PCU, le 4 juillet. Un autre souci qui n’a pas été pris de front. Et qui risque de frapper de plein fouet de nombreux artistes individuel­s. « Certains vont devoir changer de carrière par manque de stabilité financière. Il y aura une perte d’expertise de chorégraph­e, de travailleu­r culturel, de concepteur d’éclairage. Un vide risque d’être créé au sein de l’écologie de la danse. »

Du côté du Regroupeme­nt des événements majeurs internatio­naux (REMI), on salue l’injection de 5,9 millions de dollars destinés à la relance des festivals et événements artistique­s et culturels. « Mais dans la mesure où ce n’est pas définitif et final, précise le président-directeur général Martin Roy. Comme la plupart des festivals et événements au Québec sont des organisati­ons à but non lucratif, sans provisions ni capitalisa­tion, notre vraie préoccupat­ion se situe du côté des déficits anticipés. Nous avons posé la question au gouverneme­nt. Pour l’instant, la réponse reste à venir. »

C’est toute une chaîne économique qui se tient. S’il n’y a pas d’oeuvres à »

exposer, il n’y aura rien sur les murs des musées.

BERNARD GUÉRIN

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