Le Devoir

L’ombre de Hitchcock (et cie)

Au-delà des apparences offre une variation plus ou moins heureuse de Vertigo et de Fenêtre sur cour

- CRITIQUE CINÉMA FRANÇOIS LÉVESQUE

Le film Au-delà des apparences débute avec la présentati­on d’un archétype classique s’il en est : celui de l’Américain à Paris. Il se prénomme Sam et affiche la posture triste et le regard hanté d’un homme ayant perdu ce qu’il avait de plus cher. Des réminiscen­ces intempesti­ves révèlent l’existence jadis dans sa vie de la brune Georgia, assassinée dans des circonstan­ces troubles. Mais voici qu’au cinéma, Sam est stupéfait de reconnaîtr­e la défunte sous les traits d’une actrice, la blonde Lauren. Retour à Los Angeles pour la continuati­on de ce qui se révèle une très assumée mais plus ou moins inspirée variation de Vertigo, d’Alfred Hitchcock, par Colin et James Krisel, dont c’est là le premier long métrage.

Petit détail : si, à la base, Sam a fui les États-Unis, c’est parce qu’il a été le témoin d’un meurtre commis par un parrain de la mafia bulgare dans l’appartemen­t d’en face de chez lui, nuance cette fois de Fenêtre sur cour (Rear Window). Et bref, à la seconde où Sam refait surface et se met à traquer Lauren, qu’il croit être Georgia, l’un des sbires dudit parrain se met à la suivre, lui. Refoulé lors de la première du

Au-delà des apparences (V.F. de Last Moment of Clarity)

1 / 2 Suspense de Colin et James Krisel. Avec Zach Avery, Samara Weaving, Carly Chaikin. ÉtatsUnis, 2020, 90 minutes.

nouveau film de Lauren, Sam voit sa chance tourner lorsqu’il tombe sur une ancienne connaissan­ce : Kat. Kat qui, contre toute attente, accepte de l’épauler dans ses démarches pourtant pas qu’un peu douteuses. Ce, tout en succombant illico à son charme mystérieux (au sens où on se l’explique mal).

À noter que le film fait un effort louable pour convenir qu’à sa face même, un comporteme­nt comme celui de Sam est problémati­que et est ce qui oblige tant Lauren que Kat à trimbaler avec elles au quotidien des dispositif­s de protection comme du poivre de Cayenne, un Taser, voire un revolver.

Quoi qu’il en soit, ce triangle amoureux conjugué au passé, retours en arrière aidant, et au présent ne convainc jamais vraiment.

Nuances de Vertigo

Non, on n’adhère pas plus à l’idée que Georgia fut autrefois folle de Sam qu’à celle voulant que Kat en tombe aujourd’hui si vite amoureuse. En cause : une absence totale de charisme chez Zach Avery. Il est tout du long éclipsé par les deux vedettes féminines qui, chacune à sa façon, incarnent avec force persuasion une femme qui en cache une autre. Dans le rôle de Georgia et Lauren, Samara Weaving, découverte dans les comédies d’horreur The Babysitter et Prêt pas prêt (Ready or Not) et vue plus récemment dans la série Hollywood, insuffle des personnali­tés distinctes à ses personnage­s. Quant à Carly Chaikin (Mr. Robot), elle apporte un mélange tonique de fougue et d’humour cassant.

Autre atout : la direction photo, qui apporte une touche impression­niste bienvenue, avec une dominance chromatiqu­e gris-bleu à Paris, pour évoquer la léthargie initiale de Sam, puis l’apport d’un ocre discret à L.A., pour symboliser l’éveil du protagonis­te.

Hélas, le scénario des Krisel est plus préoccupé par ses influences que par la vraisembla­nce. À cet égard, les coréalisat­eurs semblent avoir cru que de simplement convoquer le souvenir de Vertigo, avec son complot sous-terrain et sa figure du double féminin décliné en brun et en blond, suffirait à pallier une plausibili­té déficiente.

Seulement voilà, hormis la maîtrise qui vient avec l’expérience, il manque à leur propositio­n un supplément d’onirisme : cette nécessaire clé pour qu’on accepte la nature intrinsèqu­ement abracadabr­ante de ce genre d’intrigues. Ce qu’un David Lynch avait plus que compris dans son Mulholland Drive, où plane le spectre de Vertigo. Sans parler de Brian De Palma, qui en réalisa une splendide relecture, Obsession, puis une déconstruc­tion, Body Double, et enfin une réinventio­n, Femme fatale.

De leur côté, les Krisel se bornent à citer davantage qu’à transcende­r. Il en résulte un exercice de style studieux, tout à fait « regardable », mais guère inspiré.

 ?? LIONSGATE ?? Dans le rôle de Georgia et Lauren, Samara Weaving, insuffle des personnali­tés distinctes à ses personnage­s.
LIONSGATE Dans le rôle de Georgia et Lauren, Samara Weaving, insuffle des personnali­tés distinctes à ses personnage­s.

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