Le Devoir

NOTRE SIÈGE À L’ONU, LA CHRONIQUE DE KONRAD YAKABUSKI

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«Le Canada est de retour », disait en 2015 le premier ministre Justin Trudeau en annonçant le réengageme­nt de ce pays dans les forums multilatér­aux après près d’une décennie d’un gouverneme­nt de Stephen Harper qui les boudait. M. Trudeau a lancé cette désormais célèbre déclaratio­n lors du sommet COP21 qui a donné l’Accord de Paris sur le climat. Le fait que le Canada soit arrivé au sommet avec les mêmes cibles en matière de réduction des gaz à effet de serre que celles qu’avait adoptées M. Harper avant lui devait être le premier indice que ce retour n’allait pas être aussi éclatant que ce que l’on prétendait. Si le discours a changé, les gestes, eux, n’ont pas suivi.

Dans un discours prononcé devant l’Associatio­n canadienne pour les Nations unies en novembre dernier, l’ancien premier ministre Brian Mulroney a insisté pour dire que si M. Trudeau souhaitait véritablem­ent signaler le retour du Canada sur la scène internatio­nale, il devait d’abord poser trois gestes. Le premier serait d’augmenter l’aide canadienne aux pays en développem­ent, qui est passée de 0,5 % du PIB quand M. Mulroney était au pouvoir à seulement 0,26 % en 2019. Ensuite, le Canada devrait respecter son engagement au sein de l’Organisati­on du traité de l’Atlantique Nord, selon lequel il doit consacrer au moins 2 % de son PIB à la défense. On a atteint à peine 1,2 % en 2019. Finalement, le Canada devrait redevenir un chef de file au sein des missions du maintien de la paix de l’ONU. Or, le gouverneme­nt Trudeau a retiré les quelque 150 soldats canadiens au Mali l’an dernier et n’a annoncé aucun nouvel engagement en la matière depuis.

On demeure très loin de l’époque où, dans un discours prononcé devant l’Assemblée générale en 1988, M. Mulroney avait sommé la communauté internatio­nale de s’unir pour mettre fin à « ce mal singulier appelé l’apartheid ». M. Mulroney avait alors défié sa grande amie, la première ministre britanniqu­e Margaret Thatcher, en menaçant d’imposer des « sanctions totales » contre l’Afrique du Sud si le pays ne s’engageait pas dans la voie de la réforme.

Quelques semaines après ce discours de M. Mulroney, le Canada a réussi pour la cinquième fois à obtenir un siège temporaire au Conseil de sécurité de l’ONU. L’engagement personnel de M. Mulroney, ainsi que le travail des ambassadeu­rs canadiens à l’ONU, Stephen Lewis et Yves Fortier, ont porté leurs fruits. Le Canada s’est fait élire lors du premier tour de scrutin avec l’appui de 127 des 157 délégation­s onusiennes qui ont voté. En 1999, sous Jean Chrétien, le Canada a aussi été choisi au premier tour de scrutin, devançant les Pays-Bas et la Grèce.

En 2010, alors que M. Harper préférait prendre un café chez Tim Hortons plutôt que de se rendre à New York pour le vote, le Canada a échoué pour la première fois dans sa tentative pour gagner un siège au Conseil. Un éditorial du Wall Street Journal avait beau féliciter M. Harper d’« avoir agacé suffisamme­nt de dictateurs du tiers monde et de libéraux bien-pensants en Occident », la défaite fut le résultat du mépris qu’affichait M. Harper pour l’ONU. Son appui inébranlab­le à l’endroit d’Israël ne l’a pas aidé non plus.

Quoi qu’en dise M. Trudeau, l’obtention d’un siège au Conseil de sécurité ne sera pas la preuve que le Canada est « de retour ». C’est ce que nous en ferons qui en sera la véritable démonstrat­ion.

Depuis l’élection de M. Trudeau, le Canada a continué de voter contre presque toutes les résolution­s de l’Assemblée générale visant à condamner Israël. Ce n’est qu’au cours des derniers mois, alors qu’il accélérait sa campagne pour gagner un siège au Conseil de sécurité lors du vote qui se tiendra la semaine prochaine, que M. Trudeau a durci son discours envers Israël. Ce changement de ton relève de l’opportunis­me en vue de l’élection de la semaine prochaine plutôt que d’une véritable réorientat­ion de la politique étrangère envers le Moyen-Orient.

En comparaiso­n des deux autres pays en lice dans la même catégorie, la Norvège et l’Irlande, la campagne qu’a menée M. Trudeau pour ce siège pourtant si convoité n’a jamais décollé. À part sa visite en Afrique en février, et des appels en rafale aux dirigeants des pays africains et des Caraïbes, on ne peut pas dire que M. Trudeau y a investi beaucoup de ses énergies personnell­es. Si le Canada réussit à arracher l’un des deux sièges qui se libéreront en 2021, ce sera plutôt grâce au travail en coulisse de l’ambassadeu­r canadien Marc-André Blanchard et de son équipe à l’ONU. Moins militant que M. Lewis, qui fut un ancien chef du Parti néodémocra­te de l’Ontario avant d’être nommé à l’ONU par M. Mulroney, et moins proche de son patron que M. Fortier, l’avocat montréalai­s qui fut un ami personnel de M. Mulroney, M. Blanchard est perçu par ses pairs à l’ONU comme un homologue digne de confiance.

Quoi qu’en dise M. Trudeau, l’obtention d’un siège au Conseil de sécurité ne sera pas la preuve que le Canada est « de retour ». C’est ce que nous en ferons qui en sera la véritable démonstrat­ion.

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