La part des femmes
La relance rimera-t-elle avec égalité ?
Depuis le début de la pandémie, les femmes subissent de façon disproportionnée les contrecoups de cette crise. Elles ont perdu leur emploi en plus grand nombre ou ont oeuvré à s’en épuiser dans les milieux où la maladie était une menace. La plupart de celles qui étaient à la maison avec des enfants ont pour leur part vu leurs tâches s’alourdir encore plus.
Ce fossé entre hommes et femmes se creusera-t-il à un moment où les gouvernements multiplient les mesures de relance ? Le projet de loi 61 du gouvernement Legault a fait surgir cette crainte avec son accent mis sur les travaux d’infrastructure et la construction, un secteur à forte prédominance masculine.
Cela a rappelé les lendemains de la crise économique de 2008. Le gros des investissements faits à l’époque pour fouetter la reprise avait été fait dans ces mêmes secteurs. Un rapport produit par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) avait démontré, en 2015, que les femmes étaient sorties perdantes de cette stratégie de relance, car le resserrement des dépenses publiques qui avait suivi avait affecté des services dont elles dépendent et des secteurs où elles forment le gros du personnel.
Le groupe Pour les droits des femmes déplore d’ailleurs qu’en « ayant omis d’effectuer une Analyse différenciée selon les sexes (ADS) sur le projet de loi 61, le gouvernement perpétue inconsciemment les inégalités entre les sexes au Québec ». Co-autrice de l’étude de l’IRIS, la chercheuse Ève-Lyne Couturier avoue s’inquiéter à nouveau. « Pour tirer les leçons de ce qui s’est passé en 2008, il faudrait que les gens qui sont au pouvoir reconnaissent qu’il y a eu un problème, ce qui est loin d’être acquis. » Elle note que les quatre ministres québécois directement responsables de la relance sont tous des hommes, alors que la diversité de perspectives permettrait de limiter les angles morts.
À Ottawa, où on est encore concentré sur l’aide directe, une loi adoptée en 2018 exige que chaque mesure financière soit soumise à une « analyse comparative entre les sexes plus » (ACS +) afin de déterminer les effets sur les femmes, les groupes minoritaires, les Autochtones et les handicapés. Condition féminine Canada assure que celles qui ont été adoptées durant cette crise sanitaire ont été examinées sous cet angle, ce qui a conduit, par exemple, à assortir la prestation d’urgence pour les étudiants d’un paiement supplémentaire pour ceux ayant des dépendants, des femmes pour la plupart. Ce type d’analyse, précise Marie-Pier Baril, porte-parole de la ministre Maryam Monsef, se poursuivra tout au long de la mise en oeuvre.
Un des obstacles les plus immédiats auxquels font face les femmes actuellement sans emploi à cause de la COVID-19 est la séquence du déconfinement, explique en privé une fonctionnaire fédérale. Les industries où les femmes étaient les plus présentes — hôtellerie, restauration, bar, commerce de détail, culture — sont parmi les dernières à reprendre leurs activités. Et plusieurs de ces entreprises embaucheront moins de personnel ou fermeront, tout simplement.
On voit déjà cette reprise à deux vitesses. « En mai, les hommes ont pu récupérer 42,1 % des emplois qu’ils avaient perdus depuis février, alors que les femmes n’en ont récupéré que 24,6 % », écrit Marie-Hélène Provençal, du Conseil du Statut de la femme du Québec, dans un des documents de réflexion de l’organisme portant sur la COVID-19 et ses suites.
L’autre obstacle à une reprise du travail, en particulier à temps plein, est l’insuffisance de places en garderie et l’absence ou presque de camps de jour, deux problèmes envenimés par la pandémie. Or, dans bien des familles, la femme assume encore la plus large part de la responsabilité parentale. Cela explique peutêtre l’insistance du gouvernement fédéral à vouloir que les provinces réservent aux garderies une part de son aide de 14 milliards de dollars. Plusieurs provinces, dont le Québec, n’entendent toutefois pas se faire imposer de conditions.
Travailleuses essentielles
Et qu’en est-il de toutes ces femmes des secteurs de la santé et des services sociaux, des services de garde, de l’éducation, de l’alimentation ? Quelques-unes ont eu des primes ou des bonifications salariales temporaires. Québec veut former sommairement et embaucher 10 000 préposées aux bénéficiaires. Mais les travailleuses de la santé qu’on a qualifiées d’anges gardiens
Les industries où les femmes étaient les plus présentes — hôtellerie, restauration, bar, commerce de détail, culture — sont parmi les dernières à reprendre leurs activités
ont aussi été privées de congés et de vacances, se sont fait imposer de longues heures supplémentaires et rabrouer quand elles s’absentaient.
La crise sanitaire a souligné au crayon gras combien nombre de ces emplois essentiels étaient peu valorisés et mal payés, que plusieurs étaient d’une précarité ahurissante et effectués dans des conditions de travail discutables. Selon la professeure d’histoire contemporaine à l’UQAM, Yolande Cohen, cela a provoqué une certaine prise de conscience et le contexte est par conséquent propice pour exiger un changement de perspective.
Elle insiste en particulier sur les services de soins pour autrui, ce qu’on appelle le secteur du care (travail domestique, soins, éducation, assistance, etc). Selon elle, il faut absolument qu’il soit reconnu comme un véritable maillon économique qui mérite ses investissements et un traitement juste de ses employées. Ce travail du care est essentiel, a une valeur et un prix. Sans lui, on l’a vu, rien ne va plus. Cette non-reconnaissance est, selon elle, « une inégalité systémique », un point de vue que partage Mme Couturier.
Comme Françoise David le disait récemment dans nos pages, Ève-Lyne Couturier pense qu’il faut penser l’économie autrement si on veut que les femmes aient leur juste place et jouissent d’une juste reconnaissance de leur travail.