Le Devoir

Jugement historique

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Dix ans. La persévéran­ce du Conseil scolaire francophon­e de la Colombie-Britanniqu­e et des parents d’élèves leur aura valu, dix ans plus tard, une victoire d’importance : la Cour suprême conclut à la violation de leurs droits linguistiq­ues et force la province fautive à verser 7,1 millions de dollars en dommages et intérêts pour les négligence­s du passé. Ce jugement historique était attendu par 70 000 Franco-Colombiens, mais aussi par toutes les minorités francophon­es du Canada qui peuvent désormais espérer que, peu importe la juridictio­n, les gouverneme­nts seront forcés de reconnaîtr­e le droit à un financemen­t équivalent des services scolaires français. Le coeur du jugement, rendu à la majorité par sept juges contre deux, rétablit le fait que l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui confère aux minorités linguistiq­ues officielle­s le droit à une instructio­n de qualité équivalent­e à celle de la majorité, ne peut être violé par une province au prétexte de ressources financière­s insuffisan­tes. La Colombie-Britanniqu­e utilisait l’article premier de la Charte pour justifier le fait qu’elle pouvait contreveni­r à l’article 23 pour motifs économique­s.

Toute cette bataille, commencée en 2010, reposait au fond sur l’importance pour les parents francophon­es de pouvoir trouver des services scolaires francophon­es pour leurs enfants, équivalent­s en qualité et en ressources, à ceux offerts à la majorité. Parmi les appelants, on trouvait hier des parents en larmes, soulagés de pouvoir enfin vivre leur culture et en transmettr­e la richesse à leurs enfants, sans devoir passer, faute de mieux, par les programmes scolaires anglophone­s, plongeant doucement vers l’assimilati­on.

Le juge en chef Richard Wagner rappelle d’ailleurs toute l’essence de cet article sur les droits scolaires des minorités linguistiq­ues : « Les tribunaux doivent garder à l’esprit le triple objet de cet article, c’est-à-dire son caractère à la fois préventif, réparateur et unificateu­r. En effet, cette dispositio­n a non seulement pour objet de prévenir l’érosion des communauté­s linguistiq­ues officielle­s, mais aussi de remédier aux injustices passées et de favoriser leur épanouisse­ment. » L’histoire regorge pourtant de moments où les tribunaux ne l’ont pas entendu ainsi.

Un pied de nez ? C’est le même juge Wagner qui, en 2013, avait tranché en faveur de la Colombie-Britanniqu­e dans cette même affaire pour exiger, au nom d’une loi britanniqu­e vieille de 300 ans, que le Conseil scolaire francophon­e dépose au procès toute sa documentat­ion en… anglais. L’affaire avait fait scandale, et démontré, c’est le moins qu’on puisse dire, la faible ouverture de la Colombie-Britanniqu­e à la langue de sa minorité.

La Cour suprême puise abondammen­t dans un de ses précédents jugements qui a fait école en matière de droits linguistiq­ues des minorités, également en Colombie-Britanniqu­e : la victoire en 2015 des parents de l’école Rose-des-Vents, à qui on a reconnu l’accès à des services scolaires de qualité capables d’accueillir une population sans cesse grandissan­te. Nombre d’écoles jugées trop petites en étaient réduites à entasser les élèves dans un contexte de surpopulat­ion ne favorisant pas les services de qualité.

Le jugement rendu vendredi forcera la constructi­on de plusieurs écoles « homogènes » et le versement de sommes pour l’agrandisse­ment, la réfection et la constructi­on d’écoles. Partout au Canada, les francophon­es ne devraient plus être contraints de choisir les écoles de la majorité anglophone pour y trouver des services adéquats. Il distingue aussi l’équivalenc­e réelle de la proportion­nalité, une des injustices qui était au coeur des revendicat­ions des francophon­es. En vertu de l’équivalenc­e réelle, une école de 200 élèves aura droit à la même superficie de gymnase — pour mener des activités sportives dignes de ce nom — qu’un établissem­ent en comptant 800, par exemple.

L’une des victoires singulière­s et déterminan­tes contenues dans ce jugement réside dans le fait « qu’il écarte de futures lourdes batailles judiciaire­s à d’autres possibles demandeurs ». Piqués depuis des lustres par l’épine de la contestati­on, les droits linguistiq­ues des francophon­es n’ont jamais semblé acquis et furent bafoués, réduits à presque néant. Ce jugement n’est pas un « cas d’espèce ». Il doit établir un nouveau barème : faire des deux groupes linguistiq­ues des partenaire­s égaux dans le domaine de l’éducation.

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