Le Devoir

Les déconvenue­s d’un antiracist­e

- Jean-François Lisée Ex-chef du Parti québécois, l’auteur a publié récemment De Gaulle l’indépendan­tiste et La tentation québécoise de John F. Kennedy

La tâche de rédiger des discours de premiers ministres est parfois ardue, répétitive. Mais lorsqu’on est à la fois conseiller et rédacteur, cela donne un avantage. Celui d’insérer, au détour d’une phrase, une propositio­n que vous aviez évoquée mais qui n’avait été ni complèteme­nt reçue ni complèteme­nt rejetée.

En 1999, j’étais choqué de la sousreprés­entation des minorités visibles parmi les employés de l’État. Leur proportion dans la population était de 10 %, mais elles constituai­ent moins de 2 % des employés. Depuis l’arrivée au pouvoir du PQ en 1994, avec une économie maussade et le déficit zéro, l’État avait peu embauché. En 1999, on ouvrait les vannes.

J’écrivis donc dans un texte du premier ministre que le Québec allait consacrer 25 % des nouvelles embauches à des membres des minorités. À ce rythme, on devait atteindre la cible en quelques années seulement. Lucien Bouchard était d’accord. L’année suivante, une loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans la fonction publique était adoptée.

J’ai quitté mes fonctions avec le sentiment d’avoir fait un bon geste. Mais, devenu député et ministre en 2012, j’ai constaté que la proportion de membres des minorités n’était que de 2,9 %. Qu’est-ce qui s’était passé, en 13 ans, pour que la décision de 1999 ait donné si peu de résultats ? Les rapports publiés par la Commission des droits de la personne sont limpides : « il n’y a aucune dispositio­n précise dans la Loi reliée à l’imputabili­té des organismes publics ».

Il fallait y remédier. J’allais insérer cette propositio­n dans notre offre électorale de 2014 : faire de l’atteinte des cibles d’embauche de minorités une obligation. Comment ? En liant les primes de rendement et l’avancement des cadres à l’atteinte de cibles précises. Il n’y a rien de plus motivant.

Plusieurs pistes de solutions

Nous venions de négocier 70 ententes de reconnaiss­ance de compétence­s profession­nelles avec la France. Cela avec un effet rétroactif. Plusieurs centaines d’infirmière­s françaises implantées au Québec allaient par exemple obtenir un relèvement de leur statut, et donc de leur salaire.

Les Nord-Africains forment le groupe de Québécois issus de l’immigratio­n où l’on trouve le plus de diplômés. Négocier avec la Tunisie, l’Algérie et le Maroc des ententes de reconnaiss­ance de diplômes et de compétence­s aurait des répercussi­ons concrètes pour des milliers d’entre eux. Début 2014, nous avons contacté ces trois pays pour lancer la démarche. Mais nous avons perdu l’élection peu après.

J’ai évidemment réintrodui­t mes propositio­ns antiracism­e dans le programme de ma campagne au leadership, puis est survenu, en février 2017, l’attentat à la mosquée de Québec. Il fallait saisir l’occasion pour faire progresser le Québec.

Nous avons publié 20 propositio­ns levant les obstacles à l’égalité. À répétition, je me suis levé pour demander au premier ministre Philippe Couillard d’adopter certaines des mesures. Pourquoi pas des CV anonymes, une mesure adoptée au Royaume-Uni et à Ottawa qui réduit la discrimina­tion à l’embauche ? Il était contre.

Pourquoi ne pas faire comme en Ontario et interdire le critère de travail antérieur obligatoir­e au Canada pour obtenir un emploi ? Cela ne l’intéressai­t pas.

Pourquoi ne pas relancer les négociatio­ns avec les pays d’Afrique du Nord ? Il ne savait pas de quoi je parlais.

Nous avons déposé des motions, proposé des amendement­s à un de leurs projets de loi, écrit notre propre projet. Ils ont refusé. Vous allez me trouver naïf, mais j’estimais que le Parti libéral allait saisir nos propositio­ns pour les faire siennes. J’ai été sidéré par le peu d’intérêt qu’elles suscitaien­t chez eux.

Comment changer le comporteme­nt de patrons ou de propriétai­res racistes ? Je sortais de l’étude du projet de loi de lutte contre le tabagisme. J’avais vu ce que constitue un mécanisme efficace de dissuasion. Le ministère de la Santé embauche des jeunes de 16 et 17 ans et les envoie acheter des cigarettes. Les amendes imposées aux dépanneurs pris en flagrant délit de vente aux mineurs sont salées : au minimum 2500 $ pour une première infraction, de 5000 $ à 250 000 $ pour les récidivist­es.

Le racisme n’est-il pas plus nocif que le tabac ? Pourquoi ne pas envoyer deux inspecteur­s, un Noir et un Blanc du même âge, ayant un revenu et un CV équivalent­s et habillés de façon semblable, cherchant soit un emploi, soit un logement, puis prendre en note les réactions ? À la clé : avertissem­ent, amendes.

Si vous aviez vu le ressac ! Sur une ligne ouverte à Québec, tous les participan­ts, sauf un, étaient contre. Sur les réseaux sociaux, les internaute­s de la CAQ nous ont dénoncés, espérant nous nuire électorale­ment.

Ces jours-ci, on entend le premier ministre François Legault et la cheffe libérale Dominique Anglade parler en termes très généraux de faire davantage contre le racisme. Les journalist­es demandent des précisions. Ils n’en ont pas. Poussée dans ses retranchem­ents par Paul Arcand, Mme Anglade a répondu : « Il y a peut-être quelque chose à faire avec les CV. »

Vous me direz : « Mieux vaut tard que jamais ! » Certes. Mais je me demande bien où elle a pu trouver ça !

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