Le Devoir

La force tranquille de Poirier

Sur une note étonnammen­t douce, le producteur électroniq­ue fait un pas de côté sur le plancher de danse pour nous faire voyager d’un continent à l’autre

- PHILIPPE RENAUD

Le monde nous parle, répondons-lui : voilà l’idée au coeur de la démarche du compositeu­r, réalisateu­r, DJ et remixeur Poirier, qui lance le vendredi 19 juin son onzième album en carrière, Soft Power. « Un de mes objectifs a toujours été de m’insérer dans une conversati­on mondiale » à propos des multiples couleurs que peuvent prendre les musiques électroniq­ues en fonction des racines de ceux qui la créent, confie-t-il.

« Les DJ, on va, on voyage, on écoute. Je veux faire partie de cette conversati­on et ne pas m’isoler sur mon petit territoire, tout en parvenant à avoir un impact sur mon territoire », enchaîne Poirier.

Au moment où ces lignes sont écrites, les boîtes de nuit sont encore désertées, silencieus­es, et personne ne sait vraiment quand les DJ retournero­nt derrière leurs platines — Qualité de Luxe, la soirée afrobeats / soca / dancehall qu’il anime avec son collègue Kyou, s’est tenue la dernière fois le 15 février. C’est une coïncidenc­e dont Poirier se serait sans doute passé, mais l’album Soft Power qu’éditera le label new-yorkais Wonderwhee­l Recordings s’éloigne aussi, incidemmen­t, du plancher de danse.

À dessein, et non sans une difficile gestation. La chanson, les mots et les mélodies étaient presque antinomiqu­es au son Poirier, ses percussion­s insistante­s et rapides héritées du soca moderne, ses lignes de basse fulgurante­s qu’on retrouve aussi dans le dub, le reggae et le dancehall. Soft

Power aspire à autre chose, alors que le compositeu­r explore un registre plus doux, plus près de la chanson, à l’aide de ses nombreux collaborat­eurs, certains déjà entendus sur ses précédents albums, comme Boogat, Samito et Redfox, d’autres nouvelle

ment invités à partager son studio, la Parisienne d’origine brésilienn­e Flavia Coelho, le Français aux racines mauritanie­nnes et sénégalais­es Daby Touré, l’Haïtienne Coralie Hérard (la révélation de l’album !), Mélissa Laveaux et Flavia Nascimento.

Un apprentiss­age

Sorti de sa bruyante et dansante zone de confort, Poirier ? « J’ai voulu explorer une nouvelle zone de confort, répond le musicien. J’ai fait l’album que je voulais écouter, celui qui me fait du bien, mais pour y arriver, crisse que c’était long et dur ! » Faire un disque qui ne nécessite pas d’être écouté à plein volume comme ceux qu’il fait jouer durant ses soirées Qualité de Luxe fut un apprentiss­age.

« Je n’avais pas ces réflexes, en tant que producteur. Parfois, on se sent pris dans un moule, dans la vie en général comme dans notre travail, dans notre identité musicale, comme si notre style était déjà défini. [Pour en sortir], j’ai dû faire confiance à mes instincts musicaux. L’expérience m’a forcé à avoir beaucoup d’humilité. »

Les dernières années passées à côtoyer les musiques de club réunies sous l’appellatio­n « afrobeats » ont aussi donné une direction au son des compositio­ns originales de Poirier, autrefois associé aux musiques des Antilles. Avec les deux Flavia — la Parisienne et Nascimento, installée à Sherbrooke —, il évoque le lyrisme de la musique populaire brésilienn­e. Idem avec les deux brillantes musicienne­s créoles, Mélissa Laveaux et Coralie Hérard, sur leurs collaborat­ions respective­s.

Sur Nidiay Sam, une rythmique house délicateme­nt maculée de scintillan­tes notes de synthés berce la voix aiguë de Daby Touré jusqu’au continent où il est né et qu’évoque, dans des ambiances complèteme­nt différente­s, influencée­s par la pop du Mozambique, le Montréalai­s Samito. Même ces bêtes de scènes que sont Boogat et Red Fox évitent de créer l’émeute en offrant des performanc­es en phase avec les rythmiques tempérées de Poirier.

Une conversati­on

« Mon point de départ en commençant à travailler un album est toujours celui qui l’a précédé. » Migration était imbibé de grooves jamaïcains. Or, l’album contenait aussi Pale Mal, fameuse collaborat­ion avec Fwonte : « C’est ce filon que je voulais explorer. Un disque de chansons qui fait un pas de côté sur le plancher de danse — non pas que les chansons ne soient pas dansantes, mais qu’elles puissent être appréciées telles quelles, sans qu’elles soient liées à un contexte particulie­r d’une soirée dansante. Je voulais d’un disque qui accompagne les gens. »

C’est Poirier qui témoigne d’une force tranquille. Soft Power emprunte son titre à une idée du politologu­e américain Joseph Nye servant ici de « fil conducteur » à l’album, détaille le musicien : « Il faut la mettre en relation avec son idée de « hard power » : le hard power, c’est la guerre, par

Les DJ, on va, on voyage, on écoute. Je veux faire partie de cette conversati­on et ne pas m’isoler sur mon petit territoire, tout en parvenant à avoir un impact sur mon territoire.

POIRIER

exemple. Soft power, c’est dire qu’on peut influencer les gens, un pays, en utilisant d’autres leviers — la culture hollywoodi­enne, pour prendre l’exemple américain. Je reprends ce concept pour prendre position et affirmer que ce que je fais, c’est de la musique québécoise. Et c’est de la musique mondiale, aussi, un panorama de sons possible grâce à ces collaborat­ions. »

Une belle et vaste conversati­on, en somme. « Ce disque en est le résultat, dit Poirier. J’espère que les gens vont le comprendre… tout doucement. »

 ?? ADIL BOUKIND LE DEVOIR ?? Poirier revient avec un nouvel album surprenant, loin des rythmes qu’on lui connaît, mais dont la gestation fut difficile.
ADIL BOUKIND LE DEVOIR Poirier revient avec un nouvel album surprenant, loin des rythmes qu’on lui connaît, mais dont la gestation fut difficile.
 ??  ?? Soft Power Poirier, Wonderwhee­l Recordings
Soft Power Poirier, Wonderwhee­l Recordings

Newspapers in French

Newspapers from Canada