Le Devoir

Les femmes patientes

The King of Staten Island conte avec force rires gras et pathos le passage tardif à l’âge adulte d’un jeune homme

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Si l’on en croit le dicton, il faut tout un village pour élever un enfant. Peut-être parce qu’il s’agit dans ce cas précis d’un homme-enfant, c’est plutôt de plusieurs femmes qu’a besoin le protagonis­te de The King

of Staten Island pour passer à l’âge adulte. Il se prénomme Scott, a la mi-vingtaine, et passe le plus clair de son temps à fumer du pot et à tatouer, malhabilem­ent, ses amis. Entre une soeur « défouloir » dont la principale faute est apparemmen­t d’aller au collège, une petite amie qu’il insiste pour garder secrète et, surtout, une maman veuve qui ne doit surtout pas succomber aux avances d’un gentil divorcé parce que fiston aime les choses telles qu’elles sont, Scott est effectivem­ent un petit roi. Étrange, toutefois, comme cette nouvelle comédie de Judd Apatow semble confondre « cute » et « toxique ».

Les personnage­s d’adulescent­s sont depuis toujours le pain et le beurre du réalisateu­r, scénariste et surtout producteur (Superbad, Forgetting Sarah Marshall, This is 40). Celui au coeur de The King of Staten Island se cherche à l’instar de ses prédécesse­urs, mais est surtout mû par une quête du père. En effet, Scott a perdu le sien, pompier mort en service, à l’âge de sept ans. Un drame que le scénario en partie autobiogra­phique cosigné par Pete Davidson (qui tient le rôletitre avec une indéniable sensibilit­é) exploite plus qu’il ne l’explore.

En cela qu’à chaque comporteme­nt infect de Scott envers sa soeur, Claire (Maude Apatow, partition sous-écrite), sa copine, Kelsey (Bel Powley, drôle mais forçant l’accent du cru), ou sa mère, Margie (Marisa Tomei, le brio comico-dramatique incarné), vite, vite, on y va d’un rappel douloureux, dans le regard ou dans le texte, de la tragédie (ah, et il y a également ce TDAH, qui a le dos large). Le procédé devient vite un raccourci narratif (et psychologi­que) complaisan­t. Même lorsqu’elles en ont assez, les trois femmes ne demeurent jamais en colère très longtemps.

Non que leur infinie patience intéresse les scénariste­s (Apatow, Davidson et Dave Sirus), qui paraissent plutôt tenir celle-ci pour acquise. D’ailleurs, Claire est en l’occurrence aussi orpheline de père que Scott, mais le fait qu’elle était bébé à l’époque semble invalider toute notion de répercussi­on, voire de deuil, à en croire la logique d’un récit qui flatte dans le sens du poil le narcissism­e de son héros. Pour reprendre l’expression de ras-le-bol résigné d’Agnès Jaoui dans Un air de famille : « Les filles, c’est pas noté pareil. »

Question de dosage

Ce n’est pas d’hier que le traitement des personnage­s féminins chez Apatow fait tiquer. En 2007, alors qu’une controvers­e entourait Knocked Up, ce dernier admettait à Vulture : « Si les gens disent que les personnage­s sont sexistes, je dis, ouais, c’est voulu dans la première partie, et ensuite, ils changent. » En 2020, la recette n’a pas changé, mais elle a vieilli.

Le plus beau, ou enfin le plus triste, c’est que l’évolution de Scott passe finalement par les anciens collègues du père, et non par les trois femmes qui le soutiennen­t (et l’endurent), et qui sont cavalièrem­ent reléguées à la périphérie narrative passé le mitan.

Du commentair­e « éveillé » à trois sous que tout cela ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, les irritants du scénario dépassent ces considérat­ions. Rehaussé par de très belles performanc­es, le film n’en a pas moins, à titre d’exemple, la main lourde tant dans les rires gras que dans le pathos. À maints égards, une version féminine d’un récit similaire, Trainwreck, avec Amy Schumer, d’après son propre scénario, donnait à voir un Judd Apatow plus inspiré en matière de dosage.

Sur le plan technique cependant, The King of Staten Island est son plus accompli. Ceci, beaucoup grâce à l’apport de l’as directeur photo Robert Elswit (Magnolia, There Will Be Blood).

Il résulte de cette collaborat­ion une facture urbaine réaliste et brute fort éloignée des coloris souvent pimpants des comédies d’Apatow.

En revanche, et comme la plupart des films du magnat de la comédie, à plus de deux heures dix, The King of Staten Island dure une bonne demiheure de trop. De telle sorte qu’à l’instar des personnage­s féminins, mais pas pour les mêmes raisons, on ne peut s’empêcher de se dire à la fin : « il était temps ».

The King of Staten Island (V.O.)

1/2

Comédie dramatique de Judd Apatow. Avec Pete Davidson, Marisa Tomei, Bill Burr, Bel Powley, Maude Apatow, Steve Buscemi. États-Unis, 2020, 132 minutes.

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UNIVERSAL PICTURES L’adulescent au coeur de The King of Staten Island se cherche, mais est surtout mû par une quête du père. En effet, Scott a perdu le sien, pompier mort en service, à l’âge de sept ans. Un drame que le scénario en partie autobiogra­phique cosigné par Pete Davidson (qui tient le rôle-titre avec une indéniable sensibilit­é) exploite plus qu’il ne l’explore.

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