Le Devoir

Mélange des genres et coups de théâtre

L’écrivain suisse Joël Dicker campe pour la première fois un thriller dans son pays natal

- CRITIQUE CAROLINE MONTPETIT

Il y a une limite au mélange des genres. Et il y a aussi le risque que l’un de ces genres ne se sente pas à sa place dans le produit final. C’est un peu ce qui arrive au dernier roman de Joël Dicker, L’énigme de la chambre

622, publié aux Éditions de Fallois, un gros polar où l’écrivain se fait justicier dans une affaire survenue plusieurs années plus tôt, au Palace de Verbier, à l’hôtel même où il est venu prendre quelques jours de vacances.

Premier roman que l’écrivain a choisi de camper dans sa Suisse natale, L’énigme de la chambre 622 veut aussi, en chemin, rendre hommage à l’éditeur Bernard de Fallois, de la maison d’édition du même nom qui publie Dicker, décédé en 2018. Ainsi, par percées successive­s dans le roman, l’écrivain adopte-t-il son propre rôle de poulain choyé et poussé par un éditeur qui a publié de grands noms avant lui. C’est de notoriété mondiale, Joël Dicker est habile dans l’art de déployer un thriller. Il a aussi une âme sensible et il veut que ça se sache.

Mais est-ce que cet hommage posthume à Bernard de Fallois, dont le nom orne d’ailleurs, forcément, la page couverture du livre, cadre bien dans ce roman qui oscille par ailleurs entre le suspense et le vaudeville, mêlant malversati­ons bancaires et intrigues amoureuses sans issues ? Estce que, entre deux chapitres d’enquête haletante, le lecteur trouvera en lui la gravité nécessaire pour se recueillir convenable­ment sur feu l’éditeur ?

Il préférera sans doute se laisser porter par les rebondisse­ments de l’intrigue, qui multiplie les retours en arrière pour nous amener à découvrir qui est mort et qui l’a tué dans la chambre 622 du Palace de Verbier, des décennies avant la visite de l’écrivain sur les lieux.

Dans cette course folle pour découvrir les dessous de ce meurtre, on rencontrer­a en chemin une aristocrat­e déchue qui rêve de marier ses filles à des hommes riches, un bagagiste ambitieux, un fils de banquier sympathiqu­e mais sans grande envergure et un comédien méconnu. Certains personnage­s sont bien mieux creusés que d’autres, et le lecteur découvrira lesquels au fil des pages.

Dicker emprunte ici des sentiers déjà explorés dans ses romans, notamment dans l’excellent La vérité sur l’affaire

Harry Quebert, une affaire de meurtre qui se déroulait sur les rives baignées de vent du Nord-Est américain et qui lui a valu le Prix du roman de l’Académie française. Mais l’action de

L’énigme de la chambre 622 se déroule à Genève, sa ville natale. Est-ce cette proximité de l’écrivain avec cette ville et son milieu qui fait que les personnage­s du roman deviennent presque caricatura­ux ? Quoi de plus suisse qu’un regroupeme­nt de banquiers ou qu’une aristocrat­e russe déchue qui cherche à marier ses filles avec l’un d’eux ?

La frénésie avec laquelle les allersreto­urs dans le passé se succèdent, en fin de roman, ajoute à cet effet d’excès, à cette touche de burlesque. C’est donc avec la comédie que ce dernier polar du jeune écrivain surdoué flirte cette fois, tout en maintenant la tension qui nous pousse à nous rendre jusqu’au bout de l’intrigue. Les coups de théâtre, habilement pensés, se succèdent, mais ils ne sont pas toujours portés avec la force qu’ils pourraient avoir. Et on reste un peu avec l’impression que l’écrivain, à force de se chercher, s’est un peu égaré dans les genres en chemin.

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JÉRÉMY SPIRERER L’action de ce nouveau roman se déroule à Genève, sa ville natale. Est-ce cette proximité de l’écrivain avec cette ville et son milieu qui fait que les personnage­s du roman deviennent presque caricatura­ux ?
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Joël Dicker, Éditions de Fallois, Paris, 2020, 574 pages
L’énigme de la chambre 622 1/2 Joël Dicker, Éditions de Fallois, Paris, 2020, 574 pages

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