Comme larguée, fuyante
Suzanne Travolta, c’est l’absurdité du quotidien, le silence plein de mots en trop ; c’est le suspense de l’existence, qui surprend ou qui déçoit.
« Les gens existent et puis soudain crac ils n’existent plus. » Suzanne apprend le suicide de Marie-Josée. Elle ne l’a jamais vraiment aimée, ni elle ni son frère, mais voilà que ses pensées sont hantées par le fantôme de cette exubérante voisine. À travers les tirades égocentriques des autres, Suzanne replonge dans leur passé et dans le sien, passivement.
Roman à deux récits, Suzanne Travolta partage l’objectif avec l’oeil extérieur par l’entremise de caméras de surveillance. Alors que Suzanne omet largement de décrire certains aspects inquiétants de sa vie, le regard d’autrui prend de l’importance en superposant une deuxième réalité à la première, qui devient inexplicablement anormale.
En plus de sa polyphonie narrative, l’écriture de Suzanne Travolta se démarque par ses phrases d’une page, ses énumérations sans virgule, que de la paraphrase, sans aucun tiret de dialogue, de l’anglais en caractères romains et de la répétition, attention. Le style libre et rythmé d’Élisabeth Benoit fait certainement la force de sa plume. Ouvrir aléatoirement ce livre à la modeste couverture, c’est inévitablement y lire un passage surprenant d’originalité, qui laisse un sourire sur les lèvres de celui qui sait apprécier la beauté du langage cynique et absurde.
Il peut être étonnant d’apprendre que Benoit a rédigé son oeuvre sans aucune planification ni signification particulière en tête, comme l’autrice l’a avoué lors de la causerie avec les auteurs du Prix littéraire des collégiens, le 27 février dernier. Toutefois, c’est bien cette impulsion qui se reflète non seulement dans son style authentique, mais aussi dans le dénouement absolument déroutant de son histoire comme larguée, fuyante.
Ainsi, l’ambiguïté de Suzanne Travolta invite à la réflexion. Le personnage éponyme abandonne peu à peu ses préjugés envers le frère de la défunte, dont le succès d’acteur l’intimide et la repousse à la fois, tandis que la fin du roman oblige le lecteur à donner tort à ses propres préjugés. Ses attentes sont trompées. Suzanne et Laurent s’appellent maintenant par leur prénom.