Lueur d’espoir en CHSLD
Le CHSLD Émile-McDuff s’est débarrassé de la COVID-19. Mais pour combien de temps ?
La peur a fait place au soulagement et aux sourires au CHSLD Émile-McDuff, à Repentigny. Après avoir perdu 18 résidents, l’établissement s’est officiellement débarrassé de la COVID-19 la semaine dernière. Une question demeure toutefois sur toutes les lèvres : pour combien de temps ?
« C’est comme si je n’avais jamais eu le virus. Je me sentais juste très fatiguée pendant quelques jours. Mais je sais qu’il a fait du mal à d’autres. J’ai été chanceuse », raconte Murielle Robert, 78 ans.
Un mois après avoir visité la zone chaude du CHSLD Émile-McDuff, Le Devoir est retourné dans cet établissement qui a été durement frappé par le virus dès la fin mars. Sur les 106 résidents, 36 ont été contaminés et 18 en sont morts.
Durant cette deuxième visite, l’atmosphère est plus légère. Il faut dire qu’aucun nouveau cas ne s’est déclaré depuis fin avril. Les deux derniers patients encore en isolement ont passé un second test de dépistage mardi matin pour confirmer leur rétablissement. Les résultats sont tombés jeudi : ils sont guéris, ce qui met officiellement fin à la présence du virus dans ce CHSLD.
« J’ai peur qu’il rôde encore, alors je n’ose pas demander à mes fils de venir me voir. On s’appelle à la place », confie toutefois Murielle Robert.
Comme plusieurs de ses voisins de chambre au troisième étage — l’ancienne zone chaude —, elle a développé peu de symptômes de la maladie. Dans les journées les plus difficiles, elle restait dans son lit et dormait beaucoup, au point de laisser de côté son chevalet et ses pinceaux, qu’elle ne quitte habituellement jamais.
« J’ai toujours dessiné et je peins depuis mes 12 ans », explique Mme Robert, se déplaçant à son rythme, à l’aide d’un déambulateur, pour nous faire visiter sa chambre. Deux peintures de paysages sont exposées au-dessus de son lit. Sur son chevalet se trouve une représentation d’une maison de campagne entourée de pommiers : sa maison d’enfance. « Ça m’a fait du bien de pouvoir recommencer. La peinture, c’est un moyen d’exprimer les choses qu’il y a à l’intérieur de moi. Il y a beaucoup de choses à l’intérieur… » Sa voix tremble, les larmes commençant à couler sur ses joues. On devine que les changements survenus ces derniers mois dans le CHSLD l’ont bouleversée.
« Dommages collatéraux »
« Même si le virus a disparu, on ne peut pas complètement crier victoire. Il a entraîné beaucoup de dommages collatéraux aux fonctions mentales et physiques. Certains éprouvent encore un essoufflement par exemple, d’autres ont perdu leur autonomie », note Julie Salette, infirmière conseillère clinique. Et ce, sans parler des mesures de confinement, qui ont pesé lourd sur le moral de l’ensemble des résidents, qu’ils aient été infectés ou non.
Des mesures d’ailleurs toujours en place lors de notre passage. La majorité des résidents restent dans leur chambre, assoupis dans leur lit ou assis devant la fenêtre. Une demi-porte est installée à l’entrée de la plupart des chambres pour contrôler les allées et venues des personnes faisant de l’errance. Les grandes salles communes sont quant à elles quasi vides.
« On a dû adapter les lieux pour les rendre sécuritaires, mais ils sont devenus moins invitants. Ça ressemble moins à un milieu de vie », reconnaît Julie Poirier, la coordonnatrice de site, en lançant un regard triste sur le salon du troisième étage.
Des fauteuils ont été retirés pour assurer les mesures de distanciation. Certains meubles et objets de décoration ont aussi été retirés, pour faciliter la désinfection.
Poupées, ballons, casse-tête et autres sources de loisir ont également été rangés au sous-sol, afin d’éviter qu’ils passent de mains en mains et deviennent une source de contamination. « C’est en attendant, on ne sait pas trop combien de temps, indique Mme Poirier. On va essayer progressivement de les réintroduire. C’est dans nos plans de déconfinement. »
« Le fait de reprendre des activités, c’est sûr que ça va aider les résidents. Mais on veut surtout les protéger », souligne l’infirmière Martine Fillion, croisée dans un couloir alors qu’elle accompagnait dans son lit une dame qui s’était trompée de chambre.
Mme Fillion pratique le métier depuis 30 ans et travaille depuis six ans au CHSLD Émile-McDuff. Habituellement affectée au deuxième étage, elle a été la première employée à se porter volontaire pour aller en zone rouge, fin mars. Peinée d’avoir vu plusieurs vies emportées par la COVID-19, elle se dit aujourd’hui heureuse de voir que les autres personnes infectées ont gagné le combat contre le virus. « C’est un plaisir immense de les voir tranquillement sur pied. On va retrouver une certaine normalité, même si la normalité sera différente d’avant. »
À commencer par les mesures de protection. Si la longue jaquette et les gants ne sont plus obligatoires sans cas de COVID-19 avéré, le personnel soignant et les visiteurs doivent porter un masque et des lunettes (ou une visière) à leur entrée dans l’établissement. Leur température est également prise par une employée, et le passage par la station de lavage des mains est obligatoire. De nombreux distributeurs de désinfectant sont également installés dans les couloirs. Lors de notre visite, on a d’ailleurs pu constater que ces fréquentes étapes de désinfection sont devenues un réflexe pour l’équipe.
« Les responsabilités des employés sont plus grandes aussi. C’était avant tout un milieu de vie, un CHSLD. Maintenant, on revient vraiment à l’essence du métier d’infirmière, on évalue beaucoup la clientèle, on fait des suivis. On est encore plus vigilants qu’avant pour détecter le moindre symptôme », ajoute Martine Fillion.
Deuxième vague
Un changement dans la pratique qui durera selon elle, étant donné que la menace d’une seconde vague plane déjà. « Au moins, on sait maintenant à quoi on s’attaque comme virus et comment s’en protéger advenant une seconde vague », poursuit l’infirmière, sûre de pouvoir l’éviter.
La Dre Audrey Lafortune, qui effectuait justement sa visite hebdomadaire mardi, se montre moins optimiste. « On est mieux préparés, mais on n’est jamais complètement préparés. Quand le premier cas survient, c’est toujours un effet de surprise, dit-elle. Ce qui m’inquiète surtout, c’est que seul un quart de nos résidents ont été infectés et ont probablement développé une immunité. Il reste beaucoup de patients qui sont des candidats potentiels à la deuxième vague. »
Pour la directrice des soins infirmiers, Audrey Bouchard, la seconde vague n’est pas une option. « On est convaincus que ça va arriver, on s’y prépare. » Aucun relâchement des mesures d’hygiène n’est prévu, et l’établissement a déjà en stock assez de matériel de protection pour les employés.
Le manque de personnel reste néanmoins un problème. « On a notre école à l’interne pour former des préposés aux bénéficiaires en accéléré. Les garder par la suite reste un défi, même si on a maintenant l’aide du gouvernement pour leur offrir des primes. » Elle reste tout de même sûre de pouvoir protéger les résidents. « La clé, c’est de rester vigilant et qu’il n’y ait aucun relâchement dans les mesures de prévention. »
Au moins, on sait maintenant à quoi on s’attaque comme virus et comment s’en protéger advenant une seconde vague
MARTINE FILLION