Le Devoir

Un écart de contrainte­s

Un mètre de moins facilite la reprise des activités

- PAULINE GRAVEL

Le directeur de la santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda, annonçait lundi avant-midi un assoupliss­ement des règles de distanciat­ion physique dans certains contextes et pour les jeunes de moins de 16 ans. À compter du 22 juin, les salles de spectacle et de cinéma pourront accueillir 50 personnes, à 1,5 mètre de distance, et les jeunes de moins de 16 ans pourront se rapprocher jusqu’à un mètre. Or, certains pays ont déjà adopté de telles règles de distanciat­ion pour toute leur population.

Alors que l’Organisati­on mondiale de la santé préconise de maintenir une distance d’au moins un mètre entre les personnes pour prévenir la transmissi­on de la COVID-19, la France s’en tient à cette recommanda­tion en imposant à sa population de respecter un mètre de distance entre les citoyens. En Belgique, en Allemagne et en Australie, on a plutôt opté pour 1,5 mètre. Aux États-Unis, on a décrété que six pieds, soit 1,8 mètre, étaient nécessaire­s. Au Canada, à l’instar du Royaume-Uni et de la Suisse, on exige deux mètres. Mais pourquoi donc imposer deux mètres de distance si d’autres

pays arrivent à se déconfiner avec une distanciat­ion d’un mètre, sachant que, pour maints services, comme les transports en commun, les restaurant­s, les théâtres, les musées, un mètre de moins change complèteme­nt la donne ?

« C’est une question délicate, car elle est au coeur de l’évaluation du risque et des décisions que le gouverneme­nt doit prendre sur les modalités du déconfinem­ent. Mais, si on veut être cohérents, il faudra s’appuyer sur les données scientifiq­ues. On doit aussi prendre en considérat­ion les probabilit­és qu’une personne infectée se trouve à proximité de nous, ainsi que les risques et les bénéfices du choix qui sera fait », affirme le Dr Marc Dionne, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

La revue médicale The Lancet a publié récemment un article dans lequel les auteurs ont passé en revue et analysé les résultats de plus de 200 études ayant évalué, entre autres, le risque de transmissi­on du virus selon la distance physique entre deux individus.

Cet article montre que, si on se tient à moins d’un mètre d’une autre personne, le risque de contracter la COVID-19 ou de la transmettr­e est de 12,8 %, alors que si on maintient une distance d’un mètre et plus, ce risque chute à 2,6 %. Si on se recule à deux mètres, le risque diminue encore de moitié et n’est plus que de 1,3 %. « Le fait de se tenir à un mètre réduit déjà de près de 80 % le risque de devenir malade. Le bénéfice de passer d’une distance inférieure à un mètre à celle d’un mètre est beaucoup plus grand que celui de passer d’une distance d’un mètre à deux mètres », fait remarquer le Dr Gaston De Serres, médecin épidémiolo­giste à l’INSPQ.

De plus, « comme on dénombre moins de cas [de personnes infectées] qu’au début de l’épidémie, l’impact de se tenir à deux mètres plutôt qu’à un mètre est forcément moindre que quand la maladie était plus fréquente », souligne-t-il.

« Bien sûr, deux mètres vont mieux protéger contre la transmissi­on, mais le fait de maintenir deux mètres amène beaucoup de contrainte­s. Les décideurs doivent soupeser les risques et les avantages. Si on ne tient compte que du risque de transmissi­on, deux mètres seraient mieux qu’un mètre. Mais si on considère les diverses situations de la vie en société, comme dans les autobus, la distance de deux mètres entraîne de grosses difficulté­s pour effectuer le transport de tous les usagers », poursuit-il.

Selon le Dr Dionne, « pour nos jeunes en garderie ou à l’école, le dommage entraîné par le maintien absolu de la distanciat­ion de deux mètres est probableme­nt plus grand que le risque qu’ils courent d’être sérieuseme­nt malades si on assouplit cette règle. Pour diverses autres activités, les contrainte­s qu’imposent les deux mètres par rapport à un mètre vont expliquer et possibleme­nt justifier qu’on opte pour un mètre », ajoute-t-il.

« Non seulement la distance, mais aussi la source de transmissi­on, soit la charge virale de la personne infectée, et la durée d’exposition sont importante­s dans le risque de transmissi­on », souligne pour sa part le Dr Donald Vinh, infectiolo­gue au Centre universita­ire de santé McGill. « Des infirmière­s et des inhalothér­apeutes qui ont soigné des personnes très malades, dont la charge virale était très élevée, ont contracté la maladie à la suite d’une exposition de seulement dix minutes. Par contre, côtoyer une personne asymptomat­ique, dont la charge virale est bien moindre, dans une épicerie pendant dix minutes n’entraîne pas le même risque. »

La distance à maintenir entre les personnes dépend aussi du contexte, poursuit le Dr Vinh. « Si on est dans un parc, à l’extérieur, où il y a de bons

Un mètre pose un risque acceptable pour la population générale

DR DONALD VINH

Les décideurs doivent soupeser les risques et l+es avantages

DR GASTON DE SERRES

courants d’air, il serait acceptable de réduire à un mètre, mais pas si on se retrouve à 25 personnes dans une salle, comme un petit restaurant. »

« Un mètre pose un risque acceptable pour la population générale, mais pour les personnes à haut risque de développer une forme sévère de la COVID-19 ou d’avoir des complicati­ons, comme les personnes âgées, il vaudrait mieux garder une distance de deux mètres en leur présence », croit-il.

La bonne décision à prendre n’est donc pas si évidente. Chose certaine, « le premier mètre de distanciat­ion doit être maintenu. On pourra ensuite décider que, même si on est moins bien protégés, les inconvénie­nts de se tenir à deux mètres sont tellement grands qu’on va tolérer un risque de COVID-19 un peu plus élevé », avance le Dr De Serres, avant de donner l’exemple des autorités françaises, qui ont choisi d’adopter la distance d’un mètre. « Ce choix permet plus de transmissi­on que celui de deux mètres, mais dans le contexte français, demander deux mètres était peut-être physiqueme­nt impossible, compte tenu du fait qu’ils sont plus nombreux et que les espaces sont plus restreints. Si on veut que notre société puisse fonctionne­r, on est obligés de tolérer un certain niveau de transmissi­on. Les autorités françaises ont donc considéré que cette conséquenc­e était plus tolérable que celles engendrées par une distanciat­ion de deux mètres qui n’aurait pas permis, ou rendu possible, le déconfinem­ent », explique-t-il.

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JOSH EDELSON AGENCE FRANCE-PRESSE

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