Autopsie de la crise en éducation
Récits croisés sur les dessous de la crise qui a secoué le milieu et fragilisé Jean-François Roberge
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, sort écorché de la première vague de COVID-19. En se faisant l’exécutant des décisions du premier ministre, il a mis ses relations avec le réseau à rude épreuve. Sa gestion de la crise s’apparente-t-elle à de l’« improvisation » ou à une « épopée héroïque » ? Retour sur les grandes décisions qui ont marqué les derniers mois.
12 MARS 2020 Un « concentré de chaos »
En matinée, le premier ministre François Legault convoque une réunion de sa cellule de crise. L’Organisation mondiale de la santé vient de déclarer l’état de pandémie et ses équipes comprennent qu’elles s’en vont vers « un shutdown total » du Québec. En Ontario, le premier ministre, Doug Ford, annonce la fermeture des écoles. Dans l’édifice Honoré-Mercier de l’Assemblée nationale du Québec, les représentants de la santé publique, dont le directeur national, Horacio Arruda, insistent sur l’importance de réduire les contacts sociaux et présentent diverses options au chef du gouvernement et à ses équipes.
Le premier ministre tranche : les écoles vont fermer. Reste à savoir « quand et comment on l’annoncera », explique-t-on en coulisse.
L’entourage de François Legault s’estime prêt, « à 95 % », à annoncer la fermeture des écoles à compter du lundi suivant, pour laisser aux établissements le temps de se préparer.
À 11 h 45, François Legault prend place dans la salle Evelyn-Dumas de l’Assemblée nationale. Avec la ministre de la Santé, Danielle McCann, et la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, il mène son premier « point de presse concernant la situation au Québec quant à la COVID-19 ».
Le Québec est en « mode d’urgence », dit-il avant d’interdire les rassemblements de plus de 250 personnes. Un journaliste l’interroge sur la fermeture des écoles. « On n’est pas rendus là, mais, à ce moment-ci, on ne peut rien
», répond prudemment le chef du gouvernement.
À la sortie du Conseil des ministres, quelques heures plus tard, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, répète la consigne officielle : « On ne demande pas de fermer des écoles à ce moment-ci. »
Pendant ce temps, en France, où elle assiste à un congrès, la présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES), Hélène Bourdages, est au téléphone avec le sous-ministre de l’Éducation, Éric Blackburn, et le directeur général de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), Robert Gendron. Les discussions, qui s’étirent jusqu’au petit matin, sont tendues.
« Ils me disaient tous les deux qu’ils n’avaient pas l’autorité pour fermer les écoles, que c’était la santé publique qui pouvait prendre cette décision-là. »
En dépit des consignes gouvernementales, plusieurs écoles privées et commissions scolaires annoncent qu’elles vont fermer le lendemain.
Il devient évident pour Mme Bourdages et ses collègues que la majorité des élèves, des enseignants et des autres membres du personnel seront absents le vendredi, peu importe la décision de Québec ou des commissions scolaires. « Les gens étaient furieux » dans le réseau, raconte-t-elle.
La journée est un « concentré de chaos ». Cette confusion se reflète à la CSDM. Les dirigeants envoient à 21 h 45 un courriel aux 115 000 élèves pour les informer qu’il y aura de l’école le lendemain. Une heure plus tard, un nouvel envoi leur annonce le contraire.
Jean Godin, directeur de l’école De l’Arc-en-ciel à Laval, est lui aussi entraîné dans cette « valse d’hésitation », sur laquelle il n’a aucun contrôle. Déjà, il gère les courriels et les appels qui affluent d’un peu partout et tente de rassurer son personnel — bien qu’il n’ait lui-même aucune idée de ce qui l’attend. Malgré la panique qu’il commence à voir poindre, il croit encore gérer « une affaire d’une fin de semaine ». Comme « une grosse tempête de neige », illustre-t-il.