Le Devoir

Les artistes descendent dans la rue

Les jeunes de la relève ne savent pas comment ils pourront exercer leur métier dans l’avenir

- CAROLINE MONTPETIT

Ils étaient plusieurs centaines d’artistes, lundi, à répondre à l’invitation du comédien Martin Faucher à manifester leur inquiétude et à montrer au grand jour leur situation financière précaire.

Ils étaient plusieurs centaines à avoir spontanéme­nt répondu à l’appel de Martin Faucher à se réunir place des Festivals à Montréal lundi midi, de préférence masqués et à deux mètres de distance

Comédiens, chanteurs, danseurs, chorégraph­es, metteurs en scène, producteur­s, éclairagis­tes, costumiers, accessoiri­stes, concepteur­s sonores, directeurs de compagnies ou de festivals, ils étaient là, sans tambour ni trompette, pour se voir, pour être vus, mais aussi pour dévoiler leur grande précarité financière, alors que la Prestation canadienne d’urgence pourrait être sur le point de s’éteindre et que les perspectiv­es de production­s demeurent presque nulles (le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé lundi à trouver une façon de prolonger la période de prestation­s).

Bien sûr, le directeur de santé publique du Québec, Horacio Arruda, avait annoncé un peu plus tôt que les rassemblem­ents de 50 personnes et plus seraient autorisés à l’intérieur à partir du 22 juin.

Reste que 50 personnes, cela demeure très peu pour remplir une salle et rentabilis­er un spectacle de danse ou une pièce de théâtre. Et aussi fautil avoir eu le temps de roder un spectacle avant de le présenter.

C’est après avoir assisté à une rencontre sur Zoom, la semaine dernière, avec le Regroupeme­nt québécois de la danse, et avoir senti la solitude des artistes, que Martin Faucher, par ailleurs codirecteu­r du Festival TransAméri­ques, a décidé d’organiser ce rassemblem­ent.

« J’ai vu un désarroi réel chez ces gens, chacun isolé chez soi, dit-il. Ça m’a fait de la peine et je me suis rendu compte qu’on est un milieu tellement vaste et diversifié, avec des nuances d’organisati­on. Je me suis dit : il faut qu’on se réunisse juste pour être les uns avec les autres. »

M. Faucher propose donc sur son fil Facebook aux artistes qui le souhaitent de se rassembler, sur une Place des Festivals étonnammen­t muette en ce début d’été, alors que les Francos de Montréal auraient dû y battre leur plein.

« Cela me fait de la peine que les artistes de théâtre ne fassent pas leur métier, ne puissent pas être rémunérés, dit Martin Faucher. On ne sait pas ce qui va se passer avec les contrats annulés, en théâtre et en danse. »

Au départ, la Prestation canadienne d’urgence n’était offerte que pour une période de quatre mois, ce qui fait que, pour ceux qui s’en sont prévalus dès le début du confinemen­t, mi-mars, elle achevait. Or, les contrats annulés ne reviendron­t pas par miracle, particuliè­rement si aucune répétition n’a été possible depuis trois mois.

Les artistes, dont la majorité sont des travailleu­rs autonomes, ne savent donc pas ce qui les attend.

Amylie Poirier étudie en musique à l’UQAM, mais a aussi une compagnie qui organise des événements sur mesure dans le secteur privé.

« Moi, personnell­ement, j’ai perdu 10 000 $ de contrats cette année. On ne sait pas ce qui va se passer après. Je ne sais pas ce que mon baccalauré­at va valoir après, si on ne peut plus faire des spectacles sur scène, être en contact avec des humains, parce que c’est ça, notre travail », dit cette mère de famille dont le conjoint travaille également en musique.

José Flores a étudié à l’École de danse contempora­ine de Montréal, avant de travailler comme danseur autonome et de cofonder le groupe Corpus Collective. « J’ai perdu tous mes contrats, j’étais jusqu’au mois d’octobre et tout a été annulé. Alors, le stress de savoir si tout cela va repartir est présent tous les jours. J’ai continué à enseigner un peu en ligne, mais ça n’est pas la même chose. Je n’ai pas choisi ce travail pour le faire en ligne. »

La comédienne Louise Latraverse a participé à la manifestat­ion, même si elle est une personne « très à risque », dit-elle. « Je suis ici par solidarité. Je suis affectée parce qu’il y a une série que je devais faire cet été. Mais moi, je suis une vieille dame qui a fait sa carrière. C’est pour les jeunes qu’il faut s’en faire. Il faut revenir au théâtre », dit-elle.

Martin Faucher croit que le gouverneme­nt a bien agi en interdisan­t les rassemblem­ents. « Mais pour remettre en cours les choses, pour remettre en branle les arts de la scène », c’est autre chose, dit-il. Le metteur en scène croit d’ailleurs que ce sont les institutio­ns, comme les théâtres, qui doivent être mieux financés, puisque ce sont elles qui sont en contact avec l’écosystème des artistes.

Jacinthe Racine, codirectri­ce artistique de la jeune compagnie L’interrupte­ur Théâtre-Lumière, fondée il y a trois ans, fait partie de cette relève à l’avenir incertain. « J’ai perdu des contrats à la pelle, je n’ai plus de contrats. Je devais faire de la tournée tout le printemps et l’été, beaucoup en théâtre de marionnett­es et en cirque. »

En attendant, la jeune femme a commencé à se chercher un autre travail.

« Je vais peut-être louer des kayaks, mais c’est encore très précaire, et c’est loin d’être ma spécialité. Je passe d’un salaire profession­nel, de 20 ou 25 dollars l’heure, au salaire minimum à louer des kayaks. »

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR
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 ?? ADIL BOUKIND LE DEVOIR ?? Les artisans des arts vivants ont répondu à l’appel du metteur en scène Martin Faucher (à gauche), lancé la semaine dernière, et se sont réunis à midi dans le Quartier des spectacles à Montréal et devant le parlement à Québec.
ADIL BOUKIND LE DEVOIR Les artisans des arts vivants ont répondu à l’appel du metteur en scène Martin Faucher (à gauche), lancé la semaine dernière, et se sont réunis à midi dans le Quartier des spectacles à Montréal et devant le parlement à Québec.
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