Le Devoir

Les « kamikazes »

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En point de presse, François Legault annonce la réouvertur­e des écoles primaires et des garderies les 11 et 19 mai, hors de la métropole et dans la grande région de Montréal respective­ment. Une vague d’inquiétude secoue à nouveau la population.

On est perçus comme « des kamikazes parce qu’on est le seul endroit en Amérique du Nord qui [va] ouvrir les écoles », se rappelle une source au gouverneme­nt. « On a un vent de face absolument incroyable. »

En coulisse, le ministre Roberge, les directeurs de santé publique et le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, ne cessent d’agiter des drapeaux rouges. En privé, les pédiatres envoient des signaux d’alarme. « La santé mentale et l’intégrité physique [des enfants], c’était ça, la préoccupat­ion », résume une source.

Éric se réjouit du retour en classe, mais, encore une fois, il avance à tâtons. Comme le retour en classe est volontaire, il faut tout revoir. Il envoie des sondages aux parents pour savoir qui revient, qui reviendra plus tard, qui prend le transport scolaire, qui reste au service de garde. Il réaménage les locaux, installe des flèches au sol, se dote de protocoles. Il travaille de 6 h à 22 h presque tous les jours cette semaine-là, « sans voir la lumière au bout du tunnel ».

À travers tout ça, il joue les psychologu­es en rassurant les parents et le personnel. « Je pense à une de mes profs, elle est solide comme le roc en temps normal. Mais là, elle était complèteme­nt paniquée. Elle pensait qu’elle s’en venait mourir à l’école avec la COVID. »

À Laval, Jean Godin a lui aussi des sueurs froides. Il accueille la nouvelle de façon positive pour les élèves, car il s’inquiète pour plusieurs d’entre eux, mais il trouve cette annonce « utopique », en raison des règles sanitaires à respecter. Il considère surtout que c’est « un coup d’épée dans l’eau », car il se doute bien que les élèves les plus vulnérable­s ne reviendron­t pas sur les bancs d’école si cela se fait sur une base volontaire. Les sondages internes lui donnent raison.

En parallèle, il organise l’enseigneme­nt à distance pour ceux qui ne reviendron­t pas en classe. C’est une autre tâche colossale. Sans oublier qu’il faut aussi préparer la rentrée de l’année suivante, « comme si de rien n’était ! »

L’annonce de la reprise des classes étonne d’autant plus les syndicats et les directions qu’elle survient quatre jours avant la conclusion des travaux de 14 comités de réflexion mis en place par Québec.

La plupart de ces groupes ne se sont réunis qu’une ou deux fois. Court-circuités, ils cessent de se rencontrer avant même d’avoir produit de rapport. « J’ai un collègue qui demande encore la liste des comités. On fait la blague qu’il va l’avoir pour Noël », dit Hélène Bourdages, de l’AMDES.

Jean-François Roberge est dépêché devant les médias en après-midi pour expliquer le plan de réouvertur­e des écoles. Mais il ne participe pas au point de presse du premier ministre. Son absence choque le réseau.

Dans le milieu scolaire, plusieurs commencent à se demander si le ministre a le contrôle du dossier ou s’il est « téléguidé par le bureau du premier ministre ».

Au même moment, la décision est prise à Québec de ne pas rouvrir les écoles secondaire­s. C’est un « no brainer », selon l’entourage du premier ministre.

Publiqueme­nt, François Legault explique que ces élèves, plus vieux, s’adaptent mieux à l’enseigneme­nt à distance. En coulisse, on craint surtout de manquer de locaux et de personnel. On souhaite utiliser les salles de classe et le personnel du secondaire pour aider le primaire.

Les troupes du premier ministre se félicitent encore d’avoir eu « le courage politique » de rouvrir les écoles. Un maintien de la fermeture aurait été beaucoup plus facile à leur avis, d’un point de vue politique et d’un point de vue sanitaire.

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