Le Devoir

Une assimilati­on systémique au Canada anglais

- Christian Gagnon Président de la Ligue d’action nationale

Le vendredi 12 juin, les parents francophon­es de Colombie-Britanniqu­e ont remporté une belle victoire en Cour suprême du Canada contre leur gouverneme­nt provincial. La Colombie-Britanniqu­e prétendait qu’il était raisonnabl­e dans une société libre et démocratiq­ue d’invoquer les coûts pour violer les droits de ses francophon­es à une éducation de qualité équivalent­e à celle offerte aux anglophone­s, comme le prescrit l’article 23 de la Charte canadienne. Ce que l’on doit retenir des dix ans de combat de cette communauté francophon­e devant les tribunaux, c’est l’immense mauvaise volonté non seulement du gouverneme­nt de Colombie-Britanniqu­e dans son refus acharné de respecter des droits constituti­onnels, mais aussi des cinq autres provinces et territoire­s qui ont appuyé la Colombie-Britanniqu­e dans cet acharnemen­t anti-français. Honte à l’Alberta, à la Saskatchew­an, à la Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve-et-Labrador, et aux Territoire­s du Nord-Ouest !

En admettant dans son jugement que « la preuve soumise [par la Colombie-Britanniqu­e] démontre que l’existence de l’article 23 n’a pas été en mesure de contrer ou de freiner le phénomène de l’assimilati­on », la Cour suprême confirme implicitem­ent que l’article 23 a échoué « à assurer la pérennité des communauté­s linguistiq­ues au pays », en particulie­r face à « l’assimilati­on en tant qu’effet préjudicia­ble ».

On ne peut non plus rester indifféren­t au choix de mots du juge Wagner qui parle de « violations […] de nature systémique », notamment en matière de constructi­on et d’entretien d’écoles, de financemen­t du transport scolaire et d’accès à des espaces pour des activités culturelle­s. L’adjectif « systémique » renvoie à une brûlante actualité. On ne peut s’empêcher de considérer les arguments présentés par la Colombie-Britanniqu­e devant la Cour sans y reconnaîtr­e un troublant parallèle entre le mépris de cette province pour sa communauté francophon­e et celui qu’ont trop longtemps exprimé certains États du sud des États-Unis pour les Afro-Américains.

En effet, dans l’historique cause Oliver Brown, et al. v. Board of Education of Topeka, et al. de 1954, les Afro-Américains du Kansas sont parvenus à mettre fin à la ségrégatio­n scolaire en convainqua­nt la Cour suprême du pays que l’état misérable, la surpopulat­ion et l’éloignemen­t des écoles réservées aux Noirs violaient la Constituti­on. Que plaidaient ce Board of Education du Kansas il y a 66 ans et la Colombie-Britanniqu­e aujourd’hui ? Des coûts trop élevés.

De leur côté, plutôt que de se rendre en autobus à des écoles lointaines et décrépites, les francophon­es de Vancouver et les Noirs de Topeka aspiraient à se rendre à pied à une belle école moderne du quartier. La seule différence est que les Noirs du Sud américain demandaien­t l’accès aux bonnes écoles des Blancs tandis que les francophon­es de l’Ouest canadien revendique­nt des écoles séparées — à l’abri de l’assimilati­on linguistiq­ue —, mais offrant une expérience éducative de qualité équivalent­e à celle des anglophone­s. C’est cette même disparité de traitement récurrente qui a aussi poussé — pas toujours avec succès — tant d’associatio­ns de parents et d’enseignant­s francophon­es à traîner les gouverneme­nts provinciau­x du « Rest of Canada » devant les tribunaux.

Un vague projet

La victoire du 12 juin des Franco-Colombiens en Cour suprême règle-t-elle une fois pour toutes ce problème « systémique » d’attitude discrimina­toire malgré les lois ? Certaineme­nt pas. Les juges prennent la peine de préciser que leur jugement est déclaratoi­re : « words, words, words ! » On n’a qu’à penser à cette autre victoire de 2015 en Cour suprême des parents de l’école Rose-des-Vents de Vancouver, surpeuplée, faite de maisons mobiles raboutées, aux classes mal insonorisé­es, souvent sans fenêtres, sans gymnase ni espace vert, manquant de vestiaires et de toilettes. Cinq ans plus tard, où en est la constructi­on promise d’une nouvelle école ? Toujours un vague projet. Et sur plusieurs enjeux, le jugement du 12 juin renvoie les francophon­es négocier avec un gouverneme­nt britannoco­lombien qui se fiche d’eux depuis des décennies.

Ce jugement réduira-t-il à néant le taux d’assimilati­on de 70 % des francophon­es de l’Ouest ? Sûrement pas. Mais le problème est aussi au Québec, là où, incapable de se fâcher devant l’injustice, on semble avoir à ce point apprivoisé le déclin du français partout au Canada qu’on s’apprête même à consacrer l’anglais en tant que principale langue d’enseigneme­nt postsecond­aire à Montréal. L’agrandisse­ment annoncé du collège Dawson, déjà de loin le plus gros cégep du Québec et qui n’est fréquenté que par 38 % d’anglophone­s, relève en effet d’une absurde autominori­sation laissant pantois. À quand un mouvement « L’éducation en français compte » ?

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