Le Devoir

Les regroupeme­nts intérieurs font sourciller des experts

- ISABELLE PARÉ

Le feu vert donné lundi aux rassemblem­ents intérieurs de moins de 50 personnes, à une distance de moins de deux mètres entre elles, a quelque peu semé la confusion et soulevé les critiques de plusieurs experts en santé publique.

En effet, pour la première fois depuis le début de la pandémie, le directeur national de santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda, a franchi un pas de plus dans le déconfinem­ent en assoupliss­ant la règle cardinale des 2 mètres de distance dans un lieu public, donnant en sus son aval, dès le 22 juin, à des regroupeme­nts intérieurs de 50 individus ou moins.

Bientôt, des adultes non apparentés pourront donc être regroupés à l’intérieur, à 1,5 mètre de distance, dans des salles de classe, de spectacles, de cinéma, de conférence­s ou autres. Mais les participan­ts devront être assis, immobiles et à l’écoute, sans parler, chanter, danser ni se déplacer. Des directives spécifique­s concernant les lieux de culte seront annoncées plus tard cette semaine. Les bars et les restaurant­s sont aussi exclus de ces nouveaux assoupliss­ements.

Or, les conditions strictes posées pour ces futurs rassemblem­ents ont soulevé lundi de réelles questions sur le type d’événements, notamment culturels, qui pourront s’y conformer. Le Dr Arruda a d’ailleurs dû démêler ces nouvelles règles en point de presse, alors que l’étalon des 2 mètres de distance continue de prévaloir partout au Québec, même à l’extérieur.

« Dans les restaurant­s, il y a de la circulatio­n. Les gens parlent, et c’est quand on parle qu’on émet des gouttelett­es, donc on maintient [les] 2 mètres pour les restaurant­s », a notamment indiqué le Dr Arruda.

« Le chant est à risque. Des projection­s de gouttelett­es vont au-delà de deux mètres. C’est sûr que […] le 1,5 mètre ne peut s’appliquer [là] où des gens chantent. À cause du danger accru », a pour sa part précisé le Dr Richard Massé, conseiller médical stratégiqu­e pour la Direction générale de la santé publique.

Invité à préciser si le port du couvrevisa­ge sera obligatoir­e dans ces événements intérieurs où la distance sociale sera réduite, le Dr Arruda croit que ça ne devrait pas être le cas. « Le port du couvre-visage, on le recommande [quand] les gens vont sortir de la salle. S’ils [trouvent ça] inconforta­ble pendant le spectacle de théâtre […], je pense qu’on peut l’enlever. Mais à la sortie et à l’entrée de la salle, les 2 mètres demeurent, et le port du masque », a-t-il dit.

On table sur un scénario idéal où les gens ne parlent pas ! Ce n’est pas la réalité. Dans une salle, avant et après un film, les gens discutent, se déplacent, »

v ont aux toilettes. MICHEL CAMUS

Pas de « risque zéro »

Concrèteme­nt, les règles seront donc plus strictes à l’extérieur (files d’attente, corridors, toilettes) d’un lieu où se tient un événement public de 50 personnes ou moins qu’à l’intérieur de la salle où il se tient. Le Dr Massé a reconnu que l’abandon des 2 mètres accroît le risque d’infection, mais de nouvelles données concluent que plus de 85 % des gouttelett­es peuvent être évitées à une distance d’un mètre. « Estce que c’est un risque zéro ? Non. Il faut qu’il y ait une certaine normalité. Sans ça, on n’est plus capables de vivre. [On doit] balancer entre ce risque et celui de pouvoir vivre en famille, en groupe, et d’assister à des spectacles. »

D’ailleurs, les rassemblem­ents de 250 personnes pourraient être autorisés dès la mi-juillet si les conditions épidémiolo­giques continuaie­nt à s’améliorer, a-t-il dit.

Mais la logique défendue par la Direction générale de la santé publique laisse certains experts sceptiques. « Le risque est réduit si on n’émet pas de gouttelett­es. Mais on table sur un scénario idéal où les gens ne parlent pas ! Ce n’est pas la réalité. Dans une salle, avant et après un film, les gens discutent, se déplacent, vont aux toilettes », affirme Michel Camus, ex-épidémiolo­giste à Santé Canada et analyste de risques sanitaires. « Si on réduit la distance physique, le minimum serait d’exiger le port du masque », juge ce médecin membre d’une coalition d’experts québécois prônant le port obligatoir­e du couvre-visage.

Nimâ Machouf, épidémiolo­giste à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, déplore cette annonce qui, selon elle, défie toute logique. « On fait le déconfinem­ent “tout croche”. On a massacré notre économie, fermé les restaurant­s et, là, on laisse les gens aller sans masque à moins de 1,5 mètre à l’intérieur. Ils pensent quoi ? Que la COVID-19 a disparu ? »

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