Dépister et pister
Ottawa adopte l’application développée par BlackBerry et Shopify pour trouver des personnes potentiellement infectées
Le Canada aura bientôt sa propre application mobile pour suivre la trace des personnes ayant été en contact avec un individu atteint de la COVID-19. Mais pour apaiser les craintes que ce genre d’outil technologique de surveillance a suscitées ailleurs dans le monde, Ottawa s’est assuré que la formule retenue fonctionne de manière anonyme sans que les données de géolocalisation des utilisateurs soient requises.
L’application a été mise au point par BlackBerry et Shopify en collaboration avec Ottawa et le gouvernement ontarien. Elle a été lancée jeudi en Ontario dans le cadre d’un projet-pilote et sera ensuite disponible partout au Canada début juillet.
« [Le téléchargement de] l’application sera volontaire, pas obligatoire, mais elle sera plus efficace si elle est téléchargée par le plus de gens possible », a dit le premier ministre Justin Trudeau. Il a dit espérer qu’au moins 50 % des Canadiens s’en prévaudront. Des chercheurs britanniques ont établi que ce genre d’application n’est efficace que si le taux d’adhésion est de 60 % ou plus, un taux atteint à peu près nulle part dans le monde.
M. Trudeau a martelé que l’application était simple et qu’elle n’avait pas besoin d’être toujours active dans le téléphone, ce qui économisera sa pile. Ailleurs dans le monde, les applications trop énergivores ont été boudées.
L’application fonctionnera au moyen de la technologie Bluetooth. Les téléphones disposant de l’application garderont en mémoire tous les téléphones croisés qui ont aussi l’application. Une personne qui reçoit un diagnostic de COVID-19 se verra donner par la Santé publique un code à inscrire dans l’application. Ce code déverrouillera la liste des contacts des 14 derniers jours. Ces contacts recevront alors une alerte. La base de données nécessaire pour rendre cela possible sera anonyme dès le début, elle ne sera pas anonymisée en cours de route. Lorsqu’on téléchargera l’application, c’est seulement le code du téléphone (et nom les données de son propriétaire) qui sera versé dans la base de données.
« Le registre sera contrôlé par les services numériques canadiens du gouvernement fédéral, entièrement sécuritaire, entièrement au Canada », a dit M. Trudeau pour se faire rassurant. Il a ajouté que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, a été consulté. Or, ce dernier a dit qu’il avait plutôt réclamé plus de renseignements pour procéder à une analyse et a ajouté qu’il était toujours en attente de ces renseignements. « Tant que nous ne les aurons pas reçus, nous ne pourrons faire part de nos recommandations au gouvernement », a indiqué par courriel le bureau de M. Therrien.
En mai, M. Therrien avait cosigné avec ses homologues provinciaux une déclaration faisant des mises en garde à propos de telles applications. Les commissaires du pays demandaient que toute éventuelle application respecte les principes de protection de la vie privée. Amnesty International a appelé plus tôt cette semaine les gouvernements à « mettre sur pause » le déploiement de ces outils au nom de la protection de la vie privée, après avoir découvert une importante faille dans l’application utilisée au Qatar.
Les provinces ?
L’application pistonnée par Ottawa aura besoin de l’apport des gouvernements provinciaux et de leurs services de santé publique pour être réellement efficace. « On s’attend à ce que les provinces voient que c’est un système simple, qui peut les aider à protéger leurs citoyens », a indiqué M. Trudeau. Pour l’instant, l’Ontario et la Colombie-Britannique sont de la partie. Pour sa part, le Québec évalue encore l’application. « Nous devons explorer cette option pour déterminer si c’est quelque chose de pertinent pour les Québécois », a indiqué le bureau du ministre responsable de la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire. « Nous tiendrons des consultations cet été. »
Ottawa a récemment rejeté l’application mobile québécoise COVI, développée par l’Institut québécois d’intelligence artificielle (Mila), qui cherchait à soustraire de l’autorité de l’État la gestion des données personnelles récoltées pour rechercher les contacts. L’application de Mila aurait utilisé le dossier médical, la géolocalisation, l’âge et le sexe des utilisateurs et prévoyait de placer ces informations sous la surveillance d’un organisme à but non lucratif. Le gouvernement du Québec, lui, poursuit toujours sa réflexion sur cette application.