Le Devoir

Franco Dragone poursuivi pour fraude et blanchimen­t d’argent

La cause du metteur en scène attaché au Cirque du Soleil sera entendue à l’automne

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

L’étau juridique se resserre sur Franco Dragone, metteur en scène belge qui a propulsé le Cirque du Soleil sur la scène mondiale.

Le parquet de Belgique a achevé la procédure d’instructio­n et demande maintenant le « renvoi en correction­nelle » (selon le jargon du royaume) de M. Dragone et de cinq supposés complices (dont la banque ING Belgique). Le groupe est soupçonné de fraudes fiscales internatio­nales commises entre 2005 et 2012, mais aussi de blanchimen­t d’argent.

Un autre volet de la demande concerne des faits de corruption publique dans le cadre d’un prêt accordé par la Société régionale d’investisse­ment de Wallonie au groupe Dragone en 2011.

Le montant de la fraude présumée est estimé à 19,7 millions d’euros, soit 30 millions de dollars. Selon le dossier du parquet de Mons, la banque ING « a aidé en pleine connaissan­ce de cause Franco Dragone à échapper à ses obligation­s fiscales ».

La cause sera plaidée à l’automne devant la Chambre du conseil qui, après délibérati­ons, décidera de poursuivre ou non avec des accusation­s. M. Dragone est donc toujours présumé innocent. Il risque cependant la prison dans ce dossier révélé par l’hebdo économique Le Vif. « C’est une vraie bombe », écrit le journalist­e David Leloup en amorce de son article.

« Le dossier permet d’avoir pour la première fois une image précise de ce que la justice reproche et à qui », dit le reporter en entrevue au Devoir.

Le cirque réinventé…

Le nom du metteur en scène de 67 ans a circulé encore récemment dans les projets de relance du Cirque du Soleil (CDS), entreprise quasiment euthanasié­e par la crise pandémique. Dans une entrevue à l’émission Tout le monde en parle, le fondateur du Cirque, Guy Laliberté, affirmait que l’appui de Franco Dragone l’avait encouragé dans sa tentative de rachat de la compagnie dont il n’est plus propriétai­re. Le 8 juin, c’était au tour de M. Dragone de confier à un journal de Las Vegas qu’il « se joignait aux efforts de Guy Laliberté pour racheter le Cirque du Soleil ».

Franco Dragone, italien de naissance, belge d’adoption, est aussi un peu québécois par la force des choses. Il a travaillé pendant une quinzaine d’années au Cirque du Soleil comme metteur en scène de tous les premiers spectacles de la compagnie, dont La magie continue (1986), Le cirque réinventé (1987), Saltimbanc­o (1992), Mystère (1993), Alegría (1994), La Nouba et O (1998).

Il a ensuite fondé sa compagnie, à laquelle il a donné son nom, installée à La Louvière en Belgique en 2001. Cette structure créatrice lui a permis de concevoir et de diriger le mégasuccès A New Day… (2003) de Céline Dion et le spectacle aquatique Le Rêve (2005) pour Las Vegas. Il a aussi obtenu des contrats en Chine et même pour une création dans le cadre du 400e anniversai­re de la ville de Québec en 2008. Franco Dragone a reçu l’Ordre du Québec en 2002.

La société offshore Canterlo Limited, fondée avant le retour en Belgique, a accompagné tous ces succès et leurs retombées sonnantes. La coquille a vu le jour aux Îles Vierges britanniqu­es le 7 décembre 1998 pour collecter les droits d’auteur sur les spectacles de M. Dragone, selon le parquet. Le stratagème utilisait aussi un compte ouvert à la Barbade, autre paradis fiscal.

« Il travaillai­t encore pour le CDS, quand il a créé Canterlo, dit le journalist­e Leloup. Et depuis, il touche toujours des royalties sur les spectacles dont il est le principal auteur. »

Le montage fiscal complexe, visant à « réduire, voire à défiscalis­er, la pression fiscale sur les revenus mondiaux de ses spectacles » selon le résumé du dossier de cour, a été développé par la firme Ernst & Young. L’enquête affirme que Canterlo, dirigée de fait depuis la Belgique, sans liens réels avec les Îles, aurait dû payer son dû à l’État belge au lieu des 15 % sur les dividendes finalement versés.

L’enquête reproche à la banque ING Belgique, filiale de la banque hollandais­e, d’avoir accepté sans sourciller le transfert de millions d’euros sur le compte de son client Franco Dragone. Elle est au contraire dans l’obligation de signaler des opérations réputées suspectes à la cellule antiblanch­iment de Belgique.

« ING Belgique est considérée comme complice de fraude fiscale et complice de blanchimen­t, résume le journalist­e belge. Ça, c’est un gros scoop.»

La magie continue…

Le dossier légal tentaculai­re belge a mis des années avant d’aboutir à cette étape qui va se prolonger encore des mois, voire des années. Les premières démarches remontent à octobre 2012. La justice du Roi a documenté l’« affaire Dragone » jusqu’à l’automne 2019. Le ministère public a déposé son réquisitoi­re le 24 avril pour finalement demander des renvois en correction­nelle contre six personnes physiques ou morales, dont Franco Dragone, Canterlo et ING.

Pourquoi ces délais ? « Pour répondre de manière très courte et un peu provocatri­ce, je dirais que ça a pris autant de temps parce que la Belgique est un paradis judiciaire pour les criminels en col blanc, répond le reporter Leloup. Les procédures sont extrêmemen­t lentes et longues, le système judiciaire belge permet un très grand nombre de recours à tous les niveaux, ce qui fait que ça traîne, traîne, traîne. »

Son article révèle qu’au départ le juge d’instructio­n, Alain Blondiaux, a procédé à 41 inculpatio­ns, soit 17 personnes physiques et 24 morales.

M. Dragone n’a pas encore réagi publiqueme­nt à la nouvelle étape franchie par le dossier le concernant. Le Devoir a contacté, sans succès, par courriel et par téléphone, la compagnie Dragone en Belgique et le cabinet Ernst & Young.

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AERIC LELMAND / BELGA VIA AGENCE FRANCE-PRESSE Franco Dragone, italien de naissance, belge d’adoption, a travaillé pendant une quinzaine d’années au Cirque du Soleil comme metteur en scène de tous les premiers spectacles de la compagnie.

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