Un Canada faible
Malgré les efforts de l’ambassadeur du Canada aux Nations unies, Marc-André Blanchard, le Canada a connu un second revers — prévisible et attendu — dans sa tentative d’obtenir un des deux sièges non permanents qui étaient disponibles au Conseil de sécurité. Le Canada a récolté 108 votes pour ce siège, comparativement à 130 pour la Norvège et 128 pour l’Irlande. Ces deux pays trop petits pour faire partie du G7 et du G20 ont damé le pion au Canada ! Le revers fait plus mal qu’en 2010. Le gouvernement Harper avait mené une campagne timorée, tandis que Justin Trudeau avait des ambitions de reconquête. Il promettait une participation accrue du Canada aux missions de paix des Casques bleus, des initiatives de promotion du féminisme à l’échelle internationale, des efforts pour lutter contre les changements climatiques et le soutien des instances de coopération multilatérales.
Même si le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, refuse pour le moment de faire l’autopsie de la défaite, quelques hypothèses peuvent être envisagées. En résumé, la promesse d’un retour du Canada sur la scène internationale n’a pas entraîné de changements significatifs sur la politique étrangère.
À titre, d’exemple, le gouvernement Trudeau a tergiversé pendant deux ans avant d’envoyer un premier contingent de Casques bleus au Mali. Avec un total de 25 Casques bleus déployés dans le monde, le Canada affiche sa pire performance en 60 ans quant aux déploiements en mission de paix. Nous sommes loin des 600 Casques bleus promis.
Les initiatives de soutien au féminisme ont généré l’effet d’une poignée de sel dans un verre d’eau. L’appui au multilatéralisme s’est fait de manière discrète, si bien qu’Ottawa n’a pu offrir un contrepoids valable au travail de sape du gouvernement Trump. Ses investissements dans l’aide internationale n’étaient pas à la hauteur des attentes pour un pays du G7 qui nourrissait des ambitions d’influence. Quant à la lutte contre les changements climatiques, il est difficile de s’en faire le porte-étendard quand on se porte acquéreur d’un pipeline, Trans Mountain, au coût de 4,5 milliards de dollars…
« Ottawa a fait trop de promesses et n’a pas livré la marchandise », comme le souligne dans nos pages Christian Leuprecht, professeur en relations internationales au Collège militaire royal. En matière de politique étrangère, le premier ministre Trudeau n’avait pas à son actif une réalisation aussi importante que la lutte contre l’apartheid (Brian Mulroney) ou l’élimination des mines antipersonnel et la participation à la création de la Cour pénale internationale (Jean Chrétien).
Le Canada s’y est pris tardivement pour faire valoir sa candidature, permettant à la Norvège et à l’Irlande de prendre une longueur d’avance dans la course aux appuis de la part des puissances étrangères. À ce sujet, Ottawa s’est aliéné dans les dernières années trois puissances mondiales ou régionales dotées d’une forte capacité de nuisance : la Chine avec l’arrestation de Meng Wanzhou, la Russie avec le soutien à l’Ukraine dans le conflit en Crimée et l’Arabie saoudite à la suite des critiques du Canada sur l’arrestation de militantes féministes saoudiennes. Le Canada défend de belles valeurs, mais il s’est parfois arrêté en chemin dans leur promotion : en fermant les yeux sur l’usage des blindés canadiens vendus à l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, en ne prenant pas assez de distances avec la position du gouvernement Harper sur le conflit israélo-palestinien, en ne prenant pas la défense de ses alliés européens attaqués sans cesse par le trublion de la Maison-Blanche.
Comme nous le constatons, les valeurs ne suffisent pas à assurer un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. La diplomatie internationale est affaire d’intérêts et d’alliances. À ce jeu, le Canada est un grand perdant. Il serait trop facile de rejeter la responsabilité de la lente érosion de l’influence du Canada sur la scène internationale uniquement sur le premier ministre Trudeau. La « tragédie canadienne » est de compter comme principal allié une puissance en régression, les États-Unis de Donald Trump. Un président qui admire les autocrates, mine les institutions démocratiques et démolit les instances de coopération multilatérales que Washington a façonnées après la Deuxième Guerre mondiale.
Ce déclin, doublé d’une montée en puissance de la Chine et autres puissances régionales en Asie, concourt à faire du Canada une distante banlieue d’Amérique en matière de politique étrangère.
Il y a une leçon à tirer pour le Québec. Pendant que le Canada est occupé à sauver sa relation économique avec les États-Unis, le Québec doit construire l’avenir, en faisant entendre sa voix singulière sur la scène internationale. Québec compte présentement 8 délégations générales à l’étranger (en plus de 5 délégations, 13 bureaux et 5 antennes). Il se doit d’accroître son rayonnement, en particulier en Europe et en Afrique, creusets de la francophonie.