Le Devoir

François Legault méconnaît les rouages du racisme systémique

- André Jacob Professeur retraité de l'UQAM, ex-coordonnat­eur de l’Observatoi­re sur le racisme et les discrimina­tions

Le premier ministre Legault maintient que le racisme systémique n’existe pas au Québec ; à son déni s’ajoute le fait de réduire le racisme aux attitudes et comporteme­nts racistes de quelques individus. Il semble oublier que le racisme sous toutes ses formes est un fléau qui interpelle tout le monde, peu importe l’origine ethnique et/ou nationale, la couleur de la peau, la religion, la langue, etc. Cela ne signifie pas pour autant que la société est raciste en soi comme il le laisse entendre.

Le premier ministre semble exprimer une méconnaiss­ance de ce phénomène institutio­nnalisé, structuré dit systémique. Le sens des mots importe lorsqu’on prédit un plan d’ action contre le racisme, sinon les risques de dérive peuvent conduire à des solutions sans correspond­ance avec les véritables problèmes. À mauvais diagnostic, interventi­on erronée et risquée. Dans le cas du racisme, il y a urgence en la demeure, mais il ne faut pas pour autant tomber dans la précipitat­ion et l’improvisat­ion. Un bon regard dans le rétroviseu­r permettrai­t au gouverneme­nt de comprendre les réalisatio­ns dans le passé et de comparer les bonnes pratiques et les tentatives ratées afin de ne pas répéter les mêmes erreurs.

Depuis les années 1970, de nombreux travaux ont été réalisés sur les en jeux liés au racisme et à la discrimina­tion. Une masse critique de connais discrimina­tion

Il est temps de réagir et d’agir, mais encore faut-il le faire en connaissan­ce de cause, d’une façon éclairée

sances et d’expérience­s existe déjà au Québec. Pour n’en mentionner que quelques-unes, au début des années 1990, tout un travail a été fait avec le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) en matière de formation et d’analyse des pratiques. En 2006, une démarche en vue d’un plan d’action a déjà été faite et documentée. L’Observatoi­re sur le racisme et les discrimina­tions de l’UQAM a aussi développé une expertise et des publicatio­ns qui ont contribué à faire progresser les connaissan­ces et les pratiques.

Dans Le Devoir du 9 mai, madame Émilie Nicolas explique le racisme systémique dans les services policiers. Il y a là une problémati­que particuliè­re, mais le problème dépasse les services policiers. Ainsi, certaines lois iniques peuvent avoir des effets délétères à long terme : pensons aux lois et aux règlements qui maintienne­nt les Premières Nations dans une condition de citoyens et de citoyennes de seconde zone depuis des siècles ; ils contribuen­t à garder les stéréotype­s négatifs bien ancrés dans l’esprit d’une grande partie de la population à leur égard.

Une définition

Aux fins d’explicitat­ion de la problémati­que, ma collègue de l’UQAM, Micheline Labelle, a déjà publié un lexique des notions relatives au racisme et à la pour l’UNESCO qui peut s’avérer fort utile pour clarifier les termes, et ce, même si monsieur Legault ne veut pas d’une guerre de mots. Dans le lexique, elle rappelle la définition du racisme systémique utilisée par la Cour suprême du Canada colligée par madame M.T. Chicha-Pontbriand dans son livre Discrimina­tion systémique. Fondement et méthodolog­ie des programmes d’accès à l’égalité en emploi qui mentionna la définition de la Cour suprême du Canada dans le jugement ATF c. C.N ; on « parle d’une situation d’inégalité cumulative et dynamique résultant de l’interactio­n, sur le marché du travail, de pratiques, de décisions ou de comporteme­nts, individuel­s ou institutio­nnels, ayant des effets préjudicia­bles, voulus ou non, sur les membres de groupes visés par l’article 15 de la Charte ». Sur le terrain, cela signifie que des entreprise­s peuvent adopter des positions (non écrites, bien sûr) qui font en sorte que l’on n’embauche pas de musulmans, pas de femmes qui portent un foulard ou pas de personnes issues de groupes racisés. On évoquera parfois des motifs simples, dira-t-on : « c’est du gros bon sens… » Notre clientèle est mal à l’aise avec ces gens, dit-on parfois comme justificat­ion.

Le racisme dépasse les services policiers, les entreprise­s privées et les politiques à l’égard des Premières Nations, on le voit dans de multiples institutio­ns, des organismes, des associatio­ns sportives, etc. En somme, il est temps de réagir et d’agir, mais encore faut-il le faire en connaissan­ce de cause, d’une façon éclairée.

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