Le Devoir

Au-delà du projet de loi 61, comment relancer le Québec

Les réflexions sur l’avenir de la province ne peuvent se faire en vase clos

- CORONAVIRU­S Daniel Boyer, Jacques Létourneau, Sonia Ethier et Luc Vachon Respective­ment président de la FTQ, président de la CSN, présidente de la CSQ et président de la CSD

Ce texte termine la réflexion amorcée dans un premier texte publié le 18 juin.

L’ampleur des moyens à mettre en branle pour garantir le succès de la reprise économique post-COVID démontre à elle seule que la relance ne peut se faire sur le pilote automatiqu­e. En ce sens, il serait plus que malhabile de restreindr­e la relance à la seule accélérati­on de projets d’infrastruc­tures existants, sans remise en question des choix de société à privilégie­r.

Le Québec doit également s’assurer de pouvoir mobiliser les ressources financière­s nécessaire­s au redémarrag­e de l’économie et au soutien à des créneaux d’innovation riches en valeur ajoutée et en création d’emplois. En ce sens, bien que difficile, la situation nous apparaît moins dramatique qu’il n’y paraît.

Le ministre des Finances, Eric Girard, devrait confirmer aujourd’hui, lors de sa mise à jour économique, que le déficit anticipé du Québec s’élèvera à 15 milliards de dollars. Nous saluons son intention, déjà affichée, d’utiliser la réserve de stabilisat­ion dont bénéficie actuelleme­nt le gouverneme­nt. Héritée des larges surplus budgétaire­s successifs engendrés par l’État québécois, celle-ci s’élève à 13,9 milliards de dollars. Son utilisatio­n répond adéquateme­nt aux circonstan­ces particuliè­res prévues par l’article 10 de la Loi sur l’équilibre budgétaire : une catastroph­e ayant un impact majeur sur les revenus et les dépenses et une détériorat­ion importante des conditions économique­s. En ce sens, le recours à la réserve de stabilisat­ion permettra de financer, sinon la totalité, du moins une bonne partie du déficit attendu.

Mais le ministre des Finances peut aller plus loin : il doit suspendre le versement prévu des 2,7 milliards au Fonds des génération­s. Non seulement les objectifs de réduction de la dette ont été atteints plus tôt que prévu, ces sommes doivent être réorientée­s vers les besoins immédiats.

Consacrer près de 3 milliards de dollars au Fonds des génération­s n’a aucune utilité à court terme, à moins que la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui gère ce fonds, ne s’en serve pour investir dans des entreprise­s québécoise­s afin de soutenir la relance économique. Malheureus­ement, nous n’avons aucune indication en ce sens.

Alors qu’une sévère récession engendrée par la crise sanitaire plombe l’économie québécoise, le gouverneme­nt doit cesser de mettre en oeuvre cette politique d’austérité qu’est le remboursem­ent de la dette. La politique monétaire étant inopérante en raison de la faiblesse des taux directeurs, la politique budgétaire et fiscale du gouverneme­nt doit faire le maximum pour soutenir et relancer l’économie.

Il faut noter ici que l’obsession du remboursem­ent de la dette publique, partagée par de nombreux gouverneme­nts successifs, n’est pas étrangère au fait que le Québec se classe au dernier rang des provinces en matière de dépenses en santé par habitant. À la lumière de l’hécatombe constatée dans nos CHSLD, il serait pour le moins approprié de se garder une petite gêne lorsque vient le temps de célébrer nos équilibres budgétaire­s répétés.

En raison de son taux d’endettemen­t nettement inférieur à la moyenne des pays développés, le Québec dispose d’une flexibilit­é fiscale et budgétaire qui fait l’envie de nombreux pays. Nous avons les moyens de nous endetter davantage pour traverser la crise et financer la relance économique. Il serait irresponsa­ble, collective­ment, de s’en priver.

D’autant plus que la crise aura révélé les graves lacunes de nos services publics et de notre filet de sécurité sociale, particuliè­rement au sein du réseau de la santé et des services sociaux. De manière générale, il faudra investir plus dans ce secteur, notamment en augmentant le personnel dans les résidences pour aînés, en améliorant leur rémunérati­on et en développan­t au maximum les services de soins à domicile pour les personnes en perte d’autonomie.

Pour un véritable dialogue social

La lutte sanitaire démontre, jour après jour depuis le début de la crise, que le Québec a une formidable aptitude à travailler ensemble. Il faut s’en inspirer, car un immense effort de mobilisati­on sera nécessaire pour redonner à l’économie du Québec tout l’élan dont elle a besoin.

Les réflexions qui concernent l’avenir du Québec ne peuvent se faire en vase clos, sans entraîner un important déficit démocratiq­ue. Espérons que le gouverneme­nt saura tirer les leçons qui s’imposent de la courte vie du projet de loi 61 et mettra en branle un forum national sur l’économie et l’emploi, maintes fois réclamé par nos organisati­ons.

Nous avons aujourd’hui l’occasion d’effectuer un virage en matière de stratégie de développem­ent économique : celle-ci doit être réfléchie, planifiée et gérée de manière socialemen­t responsabl­e dès maintenant, et ce, avec tous les partenaire­s de la société québécoise, dans un cadre de dialogue ouvert et constructi­f. Les acteurs socioécono­miques sont des alliés qui permettron­t de mieux concilier des objectifs de soutien à la vitalité économique des entreprise­s avec ceux de justice sociale pour les citoyens et les citoyennes. Ce n’est qu’en procédant ainsi que nous pourrons bâtir une économie résiliente et durable.

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