Jeu de quilles
Face à face entre deux vins équilibrés, parfaitement réussis, mais opposés d’esprit, d’essence et de style
Il m’arrive bien sûr de recevoir des échantillons pour fin de dégustation. En plus de ceux que je me procure à titre personnel à la SAQ. Deux vins rouges me parvenaient donc cette semaine. Des « quilles » à ce point diamétralement opposées d’esprit, d’essence et de style que j’avais « dans les bottes des montagnes de questions » (merci Baschung), pour ne pas dire des sommets de contradictions. Il y avait cependant un piège. Je connaissais les vins pour les avoir déjà dégustés dans un autre millésime. De bons vins, en somme. Le hic est que j’avais déjà un préjugé favorable pour l’un d’eux. Je vous laisse deviner lequel.
Les vins en question ? Cette cuvée 50/50 2018 (26,65 $ – 12936640), un Côtes du Brian élaboré conjointement par les vignerons bourguignons Anne Gros et Jean-Paul Tollot, et un Cabernet Sauvignon Knights
Valley 2017 de la maison californienne Beringer (38,85 $ – 352583). Il fallait maintenant me débarrasser de ce foutu préjugé favorable, m’installer au confessionnal de l’humilité et au tribunal de la vérité et rien d’autre. « Fais ce que boit » n’est-il pas mon credo ?
Pour généraliser, sur le plan de la qualité d’ensemble, nous avons affaire à deux vins équilibrés, parfaitement réussis. Les fruités sont de belle maturité, sans excès, et les tanins, fournis et généreux, sont particulièrement civilisés. Les fins de bouche sont cohérentes et d’une allonge pertinente. L’un apparaîtra substantiellement plus boisé, sans que ça nuise toutefois à l’harmonie des constituants. Deux vins de garde moyenne, soit, entre 5 et 8 ans d’affinement sous verre. Bref, une notation commune qui culmine à HHH 1/2.
Détaillons maintenant. La 50/50 est l’une des huit cuvées offertes au domaine par le duo français. Elle est élaborée avec de jeunes carignans (35 ans) où se greffent des syrahs plus juvéniles encore, le tout enlacé dans les bras parfumés de beaux grenaches noirs. Déjà, après une bonne demiheure d’aération, derrière une robe profonde mais bien vivante, se dégage la masse sombre d’un fruité révélé à la lumière.
Un fruité cadré avec précision, à la fois généreux et retenu, soutenu et tendu manifestement par une trame minérale saline révélée par les terroirs argilo-calcaires de marne et de grès. C’est décomplexé et savant à la fois, mais surtout nourri d’une formidable vitalité.
L’impression qui en émane en est une de calme, pour ne pas dire d’une espèce de sérénité dégagée sans doute de ces terroirs d’altitude aux confins du Minervois. Un vin d’artisan inspiré, gravé à même l’ADN d’un lieu précis.
Le Cabernet Sauvignon Knights
Valley est d’une autre étoffe. Un rouge racé qui souffle à la fois le chaud et le froid et qui respire, lui aussi, le cadre bucolique de l’arrière-pays californien, au nord-ouest de Napa. Le panorama est large, excessif, à l’image de nos voisins étasuniens.
Voilà un rouge ambitieux élaboré à partir de parcelles différentes de l’écurie Beringer qui ne manque ni de puissance ni de dimension, même s’il apparaîtra prévisible en raison de cet apport mesuré (30 %) de bois neuf (français) qui en souligne la sève pour mieux la nourrir. Trop boisé ? Je n’en suis pas certain.
Ses constituants peuvent ici en accuser les contrecoups, car il est en ce sens calibré comme les chevaux fougueux d’une Ford Mustang GT 1968 pilotée par un Steve McQueen particulièrement tendu. On pourra certes lui reprocher sa configuration massive et tout d’un bloc ainsi que sa narration un brin convenue, mais l’ensemble témoigne tout de même d’une chevauchée épique qui ne laisse personne indifférent. Les avis seront ici partagés. N’y manque qu’une côte de mammouth grillée sur feu de petits bois pour inviter son plaisir coupable à table. Bon appétit !