Les solutions existent déjà
Des centaines de recommandations très précises pour améliorer la situation des peuples autochtones dorment sur les tablettes de l’État
Le gouvernement Legault a annoncé cette semaine la création d’un « groupe d’action pour lutter contre le racisme », y compris celui visant les Premières Nations et les Inuits. Il présente cette démarche comme étant « pragmatique ».
Si on ne peut certes pas déplorer que le gouvernement actuel s’intéresse à une problématique aussi importante, il est cependant difficile de concevoir comme « pragmatique » une énième consultation, alors même que des centaines de recommandations très précises pour améliorer la situation des peuples autochtones dorment sur les tablettes de l’État après des dizaines d’années de consultations et de commissions d’enquête. […]
Depuis trente ans, les recommandations sont grosso modo toujours les mêmes. En matière de justice par exemple : autodétermination et gouvernance, revitalisation et documentation du droit autochtone (droit inuit, innu, attikamek, etc.) et des systèmes de justice autochtones, justice communautaire autochtone, ressources communautaires et sociales, ressources en santé mentale et physique, amélioration des conditions de vie et déjudiciarisation.
Toujours la même chose. Depuis trente ans.
La commission Viens, à laquelle nous avons pris part, a rendu son rapport en septembre dernier. Plus de 1088 témoins ont été entendus pendant les deux ans et demi d’enquête et d’audiences qui ont eu lieu de Kuujjuaq à Montréal, de Val-d’Or à Uashat mak Mani-Utenam. Parmi ces témoins, des dizaines d’experts et de représentants des communautés autochtones, mais surtout des centaines de citoyennes et de citoyens qui ont raconté, certains pour la première fois, les histoires de discrimination qu’ils ont subie auprès des services publics québécois.
Discrimination systémique
Les conclusions tirées par l’honorable Jacques Viens de cette enquête exhaustive sont sans équivoque : « Au terme de l’exercice, il me semble impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les membres des Premières Nations et les Inuits dans leurs relations avec les services publics ayant fait l’objet de l’enquête. » Le commissaire précise : « Les structures et les processus en place font montre d’une absence de sensibilité évidente aux réalités sociales, géographiques et culturelles des peuples autochtones. »
Cela ne signifie évidemment pas que les attitudes discriminatoires sont toujours intentionnelles et que le personnel des institutions concernées est toujours raciste. Ce n’est pas cela, la discrimination systémique. Mais au Québec comme ailleurs au Canada, pour reprendre les termes du rapport final de la Commission, « de nombreuses lois, politiques, normes ou pratiques institutionnelles en place sont des sources de discrimination et d’iniquité au point d’entacher sérieusement la qualité des services offerts aux Premières Nations et aux Inuits ».
Par ailleurs, tous ces rapports en viennent à cette même conclusion de discrimination systémique.
Questionnée à savoir quelles avaient été les suites données aux appels à l’action de la commission Viens ainsi qu’aux appels à la justice de l’ENFFADA, la ministre D’Amours, responsable des Affaires autochtones, n’a d’ailleurs pu que vaguement mentionner la tenue de quatre réunions avec les représentants autochtones en près de 10 mois — aucune en présence du chef de l’État — afin de « prioriser » les actions à prendre, comme si le gouvernement était incapable de traiter plus d’un élément à la fois.
Fort surprenant également était le refus cette semaine de la ministre D’Amours de parler franchement de discrimination systémique, pourtant au coeur des nombreux rapports sur les questions autochtones. Ce faisant, le gouvernement du Québec s’isole en demeurant l’une des rares institutions incapables de mettre des mots concrets sur une réalité pourtant reconnue par le gouvernement fédéral, la Cour suprême du Canada, les dirigeants de la plupart des autres provinces, la Ville de Montréal et de nombreux services policiers à travers le pays.
À l’heure où les violences envers les Autochtones continuent à faire les manchettes avec une régularité dévastatrice, il est plus que temps qu’un gouvernement prenne au sérieux les recommandations des multiples commissions qui se sont penchées sur les aspirations et les besoins des peuples autochtones, ainsi que les demandes de multiples personnes et organismes pour leur mise en oeuvre. Nous le devons aux centaines de personnes ayant eu le courage de parler publiquement devant les commissions, dans l’espoir que leurs voix participent au changement.
*Les deux auteurs ont fait partie de l’équipe de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (commission Viens), respectivement à titre de codirecteur de la recherche et de procureure.