Le Devoir

L’Observatoi­re des profilages accusé d’être peu diversifié

- SARAH RAHMOUNI

Une coalition réclame le retrait de son financemen­t

Une coalition montréalai­se exige le retrait d’une subvention fédérale de 2,5 M$ à un groupe de recherche universita­ire sur les profilages, arguant qu’il n’a publié aucun travail sur le profilage racial depuis sa fondation et qu’en plus, il a lui-même échoué à assurer une représenta­tion raciale en son sein. Dans une lettre ouverte, ces chercheurs et acteurs communauta­ires reprochent à l’Observatoi­re des profilages (OSP) de l’Université de Montréal n’avoir pas su « développer un quelconque partenaria­t avec des organisati­ons menées par des personnes noires et racisées à Montréal ».

« Depuis sa création en 2013, l’Observatoi­re n’a jamais recruté de personnes noires, afro-descendant­es et afrocaribé­ennes pour son Comité d’organisati­on ou comme des associés universita­ires et des employés, peut-on lire dans la lettre adressée à Éric Bastien, directeur du Conseil de recherches en

sciences humaines du Canada (CRSH), l’organisme subvention­naire. La coalition, composée de personnes racisées, demande non seulement le retrait de la subvention, mais un moratoire sur le financemen­t fédéral dirigé vers l’Observatoi­re.

L’Observatoi­re n’a pas la « crédibilit­é » de faire de la recherche sur le profilage racial, estime Balarama Holness, fondateur de Montréal en action et signataire de la lettre. « Ça n’a jamais été dans leur mandat de façon intangible. On dirait qu’ils ont toujours contourné l’enjeu », ajoute celui qui a été l’instigateu­r d’une pétition menant à la consultati­on publique sur le racisme et la discrimina­tion systémique­s de la Ville de Montréal. Selon lui, il est primordial d’avoir une certaine expérience du racisme systémique ou une connexion avec des communauté­s de personnes racisées.

Les fonds aux Blancs

Or, aux yeux de la coalition, le groupe de chercheurs associés à l’Observatoi­re est très homogène et peu de ses membres sont issus de la diversité. Le malaise est tel qu’un de ses chercheurs qui avait d’abord signé la demande de subvention au CRSH s’en est par la suite publiqueme­nt dissocié. « Il y a des chercheurs blancs, comme moi, qui sont plus susceptibl­es de recevoir des subvention­s, surtout quand on parle de grandes subvention­s comme celle qu’a obtenue l’Observatoi­re. Il y a un examen à faire sur la distributi­on raciale de fonds publics pour la recherche. Je constate que c’est très déséquilib­ré sur le terrain », relate Ted Rutland, professeur à l’Université de Concordia. Il ajoute que deux des quatre personnes s’étant retirées du projet sont racisées.

Selon lui, ce déséquilib­re dans le financemen­t s’étend aussi aux grands organismes subvention­naires du Canada qui disposent d’énormes sommes d’argent public. « L’argent n’est pas distribué de façon égalitaire », croit-il.

Même si la critique de la coalition s’adresse précisémen­t au CRSH, le problème est bien plus large, souligne à son tour Anne-Marie Livingston­e, chercheuse postdoctor­ale à l’Université Harvard et principale signataire de la lettre. « Nous ressentons le fait que le comporteme­nt de l’Observatoi­re est symptomati­que d’un plus grand problème dans les instituts de recherches et les université­s [au Canada], où il y a une sous-représenta­tion des personnes de couleur et des Autochtone­s à la tête de projets de recherches. »

M. Rutland insiste pour sa part sur l’effet « épistémiqu­e » d’un groupe de recherche composé surtout de personnes blanches. « Ça a un effet sur le type de questions qu’on voit comme légitimes ou illégitime­s », explique-t-il en faisant mention d’un projet pancanadie­n auquel il a participé, axé sur les quartiers « en transition » où les universita­ires de l’équipe, comme les représenta­nts du partenaire « communauta­ire », étaient blancs.

Profilage et intersecti­onnalité

Marie-Ève Sylvestre, professeur­e à l’Université d’Ottawa et membre fondatrice de l’Observatoi­re des profilages, reconnaît « l’importance d’avoir soulevé ces enjeux. »

Dans la première phase de l’existence de l’Observatoi­re, on insistait davantage sur la dimension « sociale » et « politique » du profilage, compte tenu de ses champs d’expertise et de ceux de Céline Bellot, directrice de l’Observatoi­re. « L’OSP dont on parle aujourd’hui, qui vient d’être financé pour 2,5 millions, vient de travaux au fil des ans qui nous ont convaincus de la nécessité de réfléchir au profilage de façon intersecti­onnelle et plurielle », explique Mme Sylvestre.

Du côté du CRSH, on ne commente pas l’octroi de la subvention à l’Observatoi­re des profilages, car le processus est confidenti­el. Cependant, Dominique Bérubé, la vice-présidente à la recherche, se dit sensible aux critiques soulevées. « C’est le temps de répondre à ça. C’est une question qui préoccupe l’ensemble du Canada », rapporte Mme Bérubé. Il y a deux ans, le CRSH a commencé un plan de diversité et d’inclusion en collectant des données sur l’identité des candidats.

Selon elle, d’après les données obtenues, il n’est pas possible de confirmer ou non si les personnes racisées étaient défavorisé­es dans le processus. « Sur la base de nos données, ce n’est pas possible. Sur la base de ce qu’on entend dans la société publique en général, bien sûr, il faut s’inquiéter »

Pascale Kaniasta Annoual, artethnoth­érapeute fondatrice et directrice de Arts, Racines & Thérapies et signataire, presse pour sa part la nécessité d’une réparation du système.

« On demande non seulement notre juste part, mais notre juste possibilit­é de contribuer au bien-être de notre communauté », explique celle qui est aussi membre du Réseau de la communauté autochtone à Montréal.

Il y a un examen à faire sur la distributi­on raciale de fonds publics pour la recherche.

» Je constate que c’est très déséquilib­ré sur le terrain.

TED RUTLAND

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