Le Devoir

L’impopulair­e John A. Macdonald

L’histoire tout entière appelle à déboulonne­r la statue de l’ancien premier ministre à Montréal

- Samuel Mercier Chercheur postdoctor­al affilié aux départemen­ts d’histoire et d’anglais de l’Université Concordia

Le déboulonna­ge est à la mode et bien sûr la statue controvers­ée de sir John A. Macdonald de la place du Canada est revenue au coeur de l’actualité. L’Histoire nous apprend cependant que le monument a toujours été dénoncé et que les critiques à l’égard du personnage n’ont rien de nouveau.

Dans l’édition du journal l’Électeur du 7 juin 1895, un journalist­e racontait en ces mots le dévoilemen­t du monument au square Dominion : « Au milieu des applaudiss­ements de la foule. De partout s’élevèrent les acclamatio­ns : Ah ! c’est ça. Mais, ce n’est pas la statue de sir John. Cela ne lui ressemble pas du tout. L’honorable M. Royal, étant assis près de votre correspond­ant, s’est écrié : il a l’air d’un Indien. »

La suite de l’article fait penser à un roman de Jacques Ferron. Les notables qui se succèdent à la tribune sous la chaleur accablante ne s’embarrasse­nt pas trop de discours, tant personne ne songeait véritablem­ent à prendre la défense du père détesté de la Confédérat­ion. Comme l’explique le correspond­ant de l’Électeur : « M. Foster a fait le discours de circonstan­ce. Je suis heureux, dit-il, de voir l’enthousias­me des Montréalai­s célébrer la mémoire de sir John, estimé et aimé de tout le monde. Le regretté chef était l’ami des Canadiens français. Pas des Métis, dit une voix dans la foule. »

La cérémonie tournera court, des jeunes perchés dans les arbres chahuteron­t les orateurs. On enverra les soldats s’en occuper et la fanfare finira le travail. Ainsi s’érigea le monument à la gloire de sir John A. Macdonald et de la Confédérat­ion, qui fait encore couler de temps à autre la peinture rouge.

Charge symbolique

Le square Dominion, aujourd’hui rebaptisé plus poliment « place du Canada » a été construit sur l’ancien cimetière catholique Saint-Antoine. À l’époque, on ne s’était pas donné la peine de déplacer les morts par peur de répandre le choléra (nombre des victimes de la pandémie avaient été enterrées là sans trop de procédures). C’est également dans la fosse commune de cet ancien cimetière qu’avaient abouti les restes des patriotes pendus à la prison du Pied-du-Courant.

Tout ça, bien sûr, on le savait, et le choix de l’emplacemen­t n’avait pas été laissé au hasard. D’y ajouter la figure de Macdonald, fraudeur notoire, ennemi du Canada français, des Chinois, de la démocratie, soûlon légendaire, assassin de Louis Riel et des Autochtone­s des plaines de l’Ouest, venait ajouter une couche d’injures à la charge symbolique de cette place publique, d’autant plus qu’on l’avait habillé en costume du conseil impérial comme pour souligner le geste.

À peu près tous les chroniqueu­rs de l’époque s’en sont pris à la statue. Dans le Réveil du 8 juin 1895, l’éditoriali­ste Paul-Marc Sauvalle écrivait d’ailleurs : « Nous n’hésitons pas à dire ici, avec la franchise qui nous caractéris­e, dans ce journal où l’on a le droit de tout dire, que nous ne pensons pas qu’il soit sain et utile de choisir pour les génération­s qui viennent sir John Macdonald comme prototype du citoyen et de l’homme d’État. »

Ces récriminat­ions se poursuivro­nt au fil du temps. En 1968, les felquistes — vagues ancêtres de nos militants antiracist­es actuels — essaieront de faire sauter la statue avec des bâtons de dynamite, alors que des nostalgiqu­es du FLQ parviendro­nt à scier sa tête en 1992.

Aujourd’hui, sécurité oblige, la dynamite a laissé sa place à la peinture, mais les enjeux sont toujours et encore les mêmes. Un peu bizarremen­t, certains voudraient garder cette statue en place au nom de l’Histoire alors même que l’Histoire tout entière appelle à déboulonne­r sir John depuis 1895.

Le monument érigé en l’honneur de John A. Macdonald a toujours été dénoncé et les critiques à l’égard du personnage n’ont rien de nouveau

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