Le Devoir

Pas facile de changer d’adresse au Canada pour les réfugiés

- LISA-MARIE GERVAIS SARAH RAHMOUNI

Après un déménageme­nt éreintant, Flor Lizeth Hernandez ne pensait pas que le changement d’adresse serait ce qui lui causerait le plus de stress. Cette Mexicaine d’origine, qui est toujours en attente d’une réponse à sa demande d’asile faite au Canada il y a plus d’un an, a été complèteme­nt laissée à elle-même pour entreprend­re cette démarche pourtant cruciale lorsqu’on est un immigrant et que notre survie dépend de précieux documents acheminés par la poste.

« Les informatio­ns qui touchent notre statut sur l’immigratio­n, la date de l’audience ou pour les rendez-vous de santé de mon bébé, c’est très important », soutient cette jeune mère, qui vient tout juste de déménager de Longueuil à Saint-Hyacinthe avec son mari et son enfant. « Pour nous, c’était urgent de faire notre changement d’adresse. » Par exemple, le permis de travail et le chèque d’aide sociale, lorsque le dépôt direct n’est pas activé, sont des « papiers » essentiels qui arrivent par le facteur et non par courriel.

Si ces nouveaux arrivants reçoivent naturellem­ent de l’aide d’organismes pour se trouver un logement ou s’inscrire en francisati­on, ils se retrouvent démunis lorsque vient le temps d’entamer les nombreuses démarches pour

faire leur changement d’adresse. Dans le meilleur des cas, ces organismes leur fournissen­t les numéros à appeler, mais à l’aube du 1er juillet, certains d’entre eux n’ont même pas entendu parler de ce problème. C’est le cas du Programme régional d’accueil et d’intégratio­n des demandeurs d’asile (PRAIDA), qui n’a pas été en position « de confirmer ou d’infirmer le problème », ce dernier n’ayant pas été porté à son attention.

Inquiet et ne sachant pas quoi faire, le mari de Mme Hernandez s’est chargé luimême de faire connaître sa nouvelle adresse auprès de chaque instance. N’étant pas encore à l’aise en français, il a dû se présenter en personne au bureau de l’aide sociale, à ceux du PRAIDA, de son avocat… « La dernière fois qu’on a déménagé, on a été chanceux parce qu’on connaissai­t celle qui prenait notre logement et elle a gardé notre courrier. Mais cette fois-ci, on n’en sait rien. C’est plus compliqué », dit Mme Hernandez.

Un parcours du combattant

Arrivée au Québec il y a un an, la demandeuse d’asile Keila Lugo a elle aussi effectué un véritable parcours du combattant lorsqu’elle a déménagé en février dernier. « Je suis allée aux bureaux de l’immigratio­n, à l’aide sociale, à mon école de français… Ça m’a pris une semaine pour changer mon adresse partout », explique-t-elle. Bien sûr, la langue, que plusieurs immigrants ne maîtrisent pas encore, est l’un des principaux obstacles. « J’ai essayé par téléphone, mais c’est difficile quand on ne parle pas bien le français. Les gens ne me comprennen­t pas. »

Malgré tout, elle a tardé à recevoir son chèque d’aide sociale, celui-ci ayant mis deux mois à arriver à son nouveau domicile. Maintenant, sa plus grande crainte est que la lettre de convocatio­n à son audience devant la Commission de l’immigratio­n et du statut de réfugié (CISR) soit envoyée à son ancienne adresse, n’en ayant pas eu de nouvelles depuis le déménageme­nt. « Je suis allée dans les bureaux pour faire le changement, mais la pandémie a commencé et je n’ai pas pu retourner pour vérifier si tout était correct », dit-elle en s’inquiétant de n’avoir encore rien reçu.

La CISR est formelle à cet effet : « Si nous n’arrivons pas à joindre le demandeur d’asile, le désistemen­t de cette demande d’asile risque d’être prononcé pour défaut de répondre. Il est donc extrêmemen­t important pour les demandeurs d’asile de veiller à ce que la CISR ait des coordonnée­s à jour pour communique­r avec eux », précise-t-elle sur son site Internet.

Les avocats ou les consultant­s en immigratio­n sont informés des dates d’audience de leurs clients demandeurs d’asile, mais il arrive que certains demandeurs n’aient pas fait appel à ce type de profession­nels.

Un service postal inaccessib­le

Pour gagner du temps avec la corvée du changement d’adresse, Postes Canada offre un service de réachemine­ment de courrier qui, moyennant une certaine somme, le redirige automatiqu­ement à une nouvelle adresse pour une certaine durée.

Or, comme ce service exige de présenter une pièce d’identité avec photo ou deux preuves de résidence et un document officiel comme un certificat de naissance, la plupart des demandeurs d’asile n’y ont pas accès. « Moi, tout ce que j’ai, c’est la feuille marron », dit Flor Lizeth Hernandez, faisant référence au document de couleur brune qui constitue la carte d’identité d’un demandeur d’asile pendant qu’il attend sa réponse. « La dame au comptoir n’avait jamais vu ça. Elle a appelé la gérante, qui m’a dit que je devais présenter une carte d’assurance maladie ou mon permis de conduire. Mais ni mon mari ni moi n’avons ces documents. »

Karla, une autre demandeuse d’asile qui tait son vrai nom pour ne pas nuire à son dossier, ne comprend pas pourquoi Postes Canada lui refuse l’accès à son service de réachemine­ment de courrier. Le document d’identifica­tion des demandeurs d’asile comporte pourtant, à l’instar du permis de conduire et de la carte d’assurance maladie, une photo et les renseignem­ents personnels des détenteurs. « C’est notre pièce d’identité à nous. Je peux tout faire avec ça », lance-t-elle, en soulignant qu’il lui permet par exemple d’ouvrir un compte de banque.

Contactée par Le Devoir, Postes Canada ne s’est pas prononcée sur ces restrictio­ns d’accès auxquelles se heurtent les demandeurs d’asile. Pour toute demande de redirectio­n du courrier, la société canadienne a toutefois dit mettre en oeuvre « un processus de vérificati­on d’identité à plusieurs volets afin de prévenir les fraudes ». Elle ajoute néanmoins que ces « nombreux mécanismes de contrôle » évoluent constammen­t afin d’assurer la protection de ses clients.

 ?? ADIL BOUKIND LE DEVOIR ?? Keila Lugo, photograph­iée ici avec sa fille, explique les difficulté­s que les demandeurs de statut de réfugié rencontren­t lorsqu’ils doivent changer leur nouvelle adresse après un déménageme­nt.
ADIL BOUKIND LE DEVOIR Keila Lugo, photograph­iée ici avec sa fille, explique les difficulté­s que les demandeurs de statut de réfugié rencontren­t lorsqu’ils doivent changer leur nouvelle adresse après un déménageme­nt.

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