Le Devoir

Plusieurs ratés ont conduit à la mort d’un coureur en 2019

La famille du défunt déplore les anomalies relevées par la coroner dans son rapport

- MARATHON DE MONTRÉAL GUILLAUME LEPAGE

Une série de cafouillag­es ont « compromis » les chances de survie de Patrick Neely, un coureur de 24 ans décédé lors du marathon de Montréal l’an dernier, conclut la coroner Géhane Kamel, dans un rapport rendu public lundi où l’organisati­on de l’événement est écorchée.

« C’est difficile à digérer », souffle en entrevue au Devoir la mère du défunt, Josée. Entourée de son mari et de son fils aîné, elle s’explique mal comment un tel événement, d’envergure internatio­nale, ait pu connaître autant de problèmes.

Neuf mois après le drame, la famille souhaite surtout que les recommanda­tions de la coroner soient appliquées. « Il faut accepter de vivre sans sa présence, mais d’accepter ce qui s’est passé… On ne veut juste pas que ça se reproduise », laisse tomber Josée.

Patrick Neely approchait du fil d’arrivée lorsqu’il s’est effondré, le 22 septembre 2019, pris d’un malaise. Il participai­t à l’épreuve du demi-marathon de 21,1 kilomètres. Après une prise en charge « difficile », le jeune homme a été transporté à l’Hôpital Notre-Dame, puis au CHUM, où il s’est éteint le soir même.

Atteint d’une maladie, le coureur originaire de Beaconsfie­ld était plus à risque de subir une arythmie cardiaque fatale. Il l’avait d’ailleurs inscrit sur son dossard de course. Or, sa condition médicale était « modérée et stable », et il était suivi à l’Institut de cardiologi­e de Montréal, note Me Kamel dans son rapport.

Somme toute, Patrick Neely était en « bonne forme physique » et pratiquait plusieurs sports. Sa « tolérance à l’effort » était « nettement supérieure à la moyenne pour son âge », peut-on également lire. Il n’avait aucune contre-indication pour la course à pied.

Série de cafouillag­es et de ratés

À 9 h 51 le 22 septembre, M. Neely s’écroule dans le dernier kilomètre du parcours. Une agente du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) l’ayant vu tituber lui prête aussitôt assistance. Sur le canal de communicat­ion des policiers, elle demande l’aide d’Urgences-santé à 9 h 54. Au centre de commandeme­nt — où siègent un représenta­nt de l’organisme et un autre du marathon —, le message est bien reçu.

Mais le déploiemen­t d’ambulancie­rs est hasardeux : deux tentatives sont nécessaire­s pour joindre une équipe, pourtant postée tout près de M. Neely. Les ambulancie­rs de celle-ci n’étaient pas dans leur véhicule, mais dans une clinique mobile du marathon, « tel qu’on leur avait demandé », note la coroner. Ils se mettent finalement en route à 10 h.

Pendant ce temps, la policière appelle à nouveau à l’aide sur la ligne. Elle tente des manoeuvres de réanimatio­n sur le jeune homme avec une citoyenne, qui est infirmière. Par chance, l’agente avait été formée pour la réanimatio­n cardioresp­iratoire (RCR) avant son embauche au SPVM, relève Me Kamel.

Ce sont des pompiers qui arrivent les premiers sur les lieux. Ils ont été avertis par un policier qui a spontanéme­nt couru jusqu’à leur caserne. Les ambulancie­rs sont arrivés deux minutes plus tard, à 10 h 03.

Suivant leur protocole, ils transporte­nt Patrick Neely au centre hospitalie­r le plus près, soit l’Hôpital Notre-Dame. Mais une fois là-bas, la décision de le transférer au CHUM, mieux outillé, est prise à cause de sa condition médicale. « Plusieurs difficulté­s au niveau des étapes de la prise en charge de M. Neely ont certes compromis ses chances de survie », souligne la coroner.

Les écueils relevés par Géhane Kamel ne s’arrêtent pas là. Les organisate­urs devaient déployer 200 personnes sur tout le parcours pour venir en aide aux marathonie­ns, au besoin. À peine une soixantain­e a été déployée, un manque pallié par le SPVM. Le corps policier a ainsi dépêché 200 agents supplément­aires, devant « jouer un rôle qui ne leur était pas initialeme­nt destiné ».

Les responsabl­es du marathon avaient par ailleurs promis un événement « cardiosécu­r », garantissa­nt l’accès à un appareil de défibrilla­tion (DEA) en moins de trois minutes sur tout le parcours. En tout, 52 DEA devaient être disponible­s, dans des stations fixes ou mobiles. Or, les policiers en service ce jour-là ignoraient leur position.

Ce sont les pompiers qui, au bout de 10 minutes, sont arrivés auprès de Patrick Neely avec un défibrilla­teur. « L’accès à un DEA aurait été primordial et celui-ci aurait dû être administré dans les cinq minutes suivant le malaise de M. Neely. Nous croyons que l’administra­tion rapide du DEA aurait pu contribuer à lui sauver la vie », conclut Me Kamel.

Recommanda­tions

Dans le document de sept pages, la coroner recommande aux organisate­urs du marathon de Montréal de communique­r la position des DEA pour qu’ils soient connus de tous. Le SPVM devrait de son côté former ses agents en RCR, ajoute Géhane Kamel, qui trouve « problémati­que » que les véhicules des patrouille­urs ne soient pas équipés de défibrilla­teurs. Quant à Urgences-santé, la société doit connaître la position de ses effectifs lors de tels événements.

La coroner suggère aussi à la Ville de Montréal de veiller à ce que les « infrastruc­tures médicales et organisati­onnelles » lors d’un événement sportif soient conformes aux normes. Autrement, elle doit l’annuler. Le ministère de la Santé devrait de son côté établir des directives pour que les patients en arrêt cardioresp­iratoire soient transporté­s vers un hôpital outillé en conséquenc­e, et non pas le plus près.

Joint par Le Devoir, le nouveau directeur général du marathon de Montréal, Eddy Afram, assure que les « normes de sécurité les plus élevées » seront « respectées pour l’ensemble des prochaines éditions ». À la Ville de Montréal, on s’engage à faire les « suivis appropriés pour répondre aux recommanda­tions » du rapport de la coroner. Le SPVM n’a pas répondu à nos demandes.

 ?? AL BELLO AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Patrick Neely, 24 ans, approchait du fil d’arrivée lorsqu’il s’est effondré, le 22 septembre 2019, pris d’un malaise. Il participai­t à l’épreuve du demimarath­on de 21,1 kilomètres du marathon de Montréal.
AL BELLO AGENCE FRANCE-PRESSE Patrick Neely, 24 ans, approchait du fil d’arrivée lorsqu’il s’est effondré, le 22 septembre 2019, pris d’un malaise. Il participai­t à l’épreuve du demimarath­on de 21,1 kilomètres du marathon de Montréal.

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