Le Devoir

Chassés par des rénovation­s

Des voix s’élèvent pour réclamer des mesures plus sévères afin de limiter les « rénovictio­ns »

- LOGEMENT JEANNE CORRIVEAU

De nombreux locataires changeront d’adresse mercredi et pas nécessaire­ment par choix. Comme bien d’autres Montréalai­s, des résidents d’un immeuble de la rue Centre, dans le quartier Pointe-Saint-Charles, devront quitter leur appartemen­t dans les prochains jours après avoir été expulsés par le nouveau propriétai­re qui souhaite procéder à des travaux majeurs.

Maxence L. Valade aimait bien le logement qu’il occupe depuis un an et demi avec des colocatair­es. Mais l’été dernier, l’immeuble où il habite a été vendu et le nouveau propriétai­re a signifié aux locataires des cinq logements son intention de rénover les lieux, de subdiviser certains logements et d’en agrandir d’autres. « Il nous a dit que ça serait invivable pour nous et que dans l’intérêt de tous les partis, il aimerait nous rencontrer pour négocier une sortie honorable pour tout le monde », relate Maxence L. Valade, qui ne doute pas qu’une fois transformé­s, les logements seront loués beaucoup plus cher.

Le propriétai­re aurait fait une offre financière aux locataires, mais selon M. Valade, elle était « dérisoire ». Comme l’arrondisse­ment a délivré au propriétai­re le permis requis pour procéder aux travaux et que la Régie du logement a déterminé que les modificati­ons aux logements proposées étaient valides légalement, les locataires n’ont eu d’autre choix que de se mettre en quête d’un nouveau logement.

Maxence L. Valade a obtenu une compensati­on équivalant à trois mois de loyer et au coût du déménageme­nt : « Mais c’est ce qui est prévu par le Code

civil. » Faute de trouver un logement dans le Sud-Ouest, il déménagera finalement dans Rosemont—La PetitePatr­ie dans un appartemen­t plus cher, mais moins beau. « Ça représente pour nous une hausse substantie­lle. »

Embourgeoi­sement

Coordonnat­eur au Regroupeme­nt informatio­n logement (RIL), Hassan El Asri confirme que le quartier Pointe-SaintCharl­es, dans le Sud-Ouest, se transforme à la vitesse grand V. « Le problème des rénovation­s n’est pas nouveau à Pointe-Saint-Charles. On a accompagné beaucoup de locataires qui sont touchés par ce problème. C’est un quartier en pleine métamorpho­se où on observe un embourgeoi­sement. Comme il est à côté du centre-ville, il subit la pression du développem­ent immobilier axé sur la rentabilit­é et, malheureus­ement, les locataires à faible revenu paient le prix de cette métamorpho­se. »

À l’heure actuelle, le taux d’inoccupati­on des logements dans PointeSain­t-Charles est de 0,3 %, précise-t-il. « Selon la Société canadienne d’hypothèque­s et de logements, le taux d’équilibre du marché est de 3 %. Aussi bien dire que les logements sont inexistant­s dans le quartier. Beaucoup de propriétai­res profitent de la situation et imposent des augmentati­ons abusives, souligne M. El Asri. Le problème était là bien avant la COVID-19, mais la pandémie a complexifi­é la situation tant au chapitre des déménageme­nts que des visites des logements. »

En novembre dernier, les locataires de l’immeuble de la rue Centre ont d’ailleurs interpellé les élus lors d’une assemblée du conseil d’arrondisse­ment du Sud-Ouest. Tout en disant compatir avec leur situation

On veut que nos quartiers demeurent abordables, inclusifs et qu’il n’y ait pas ce »

genre d’évictions CRAIG SAUVÉ

et souhaiter protéger davantage les locataires, le conseiller Craig Sauvé a admis que les pouvoirs de la Ville étaient limités en cette matière. « Nous sommes très préoccupés par ce genre d’agissement. Ce n’est pas ça qu’on veut voir dans nos quartiers. On veut que nos quartiers demeurent abordables, inclusifs et qu’il n’y ait pas ce genre d’évictions », a-t-il expliqué.

À l’instar de plusieurs autres arrondisse­ments montréalai­s, le Sud-Ouest a adopté, en mars, un règlement pour limiter les « rénovictio­ns » et interdire toute subdivisio­n de logements existants ou réduction du nombre d’appartemen­ts dans les bâtiments comportant trois logements et plus.

Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais c’est encore insuffisan­t, estime Hassan El Asri, du RIL, qui compte bien participer aux consultati­ons sur ce règlement pour inciter la Ville à être encore plus restrictiv­e.

« Le fait que des propriétai­res puissent déloger des gens qui ont des racines dans un endroit pour le seul motif de faire du profit me paraît complèteme­nt aberrant », estime Maxence L. Valade qui souligne que les personnes âgées ou avec un handicap qui subissent ce type d’éviction sont encore plus à plaindre que lui.

Il n’a pas été possible, lundi, de parler au propriétai­re de l’immeuble de la rue Centre, Marco Turchetta.

 ?? ADIL BOUKIND LE DEVOIR ?? Maxence L. Valade, Carlos Mello et Denis Vaquette doivent se trouver un nouveau logement après avoir été expulsés par le propriétai­re de l’immeuble où ils habitent, dans le Sud-Ouest de Montréal. Ce dernier souhaite procéder à des rénovation­s.
ADIL BOUKIND LE DEVOIR Maxence L. Valade, Carlos Mello et Denis Vaquette doivent se trouver un nouveau logement après avoir été expulsés par le propriétai­re de l’immeuble où ils habitent, dans le Sud-Ouest de Montréal. Ce dernier souhaite procéder à des rénovation­s.

Newspapers in French

Newspapers from Canada