Le Devoir

Chaud devant, chaud !

- CRISE ÉCONOMIQUE JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Depuis la chute des cours boursiers survenue en mars, les marchés ont récupéré une grande partie des pertes causées par l’arrêt brutal de l’activité économique. En théorie, ce regain d’optimisme des acteurs de la planète financière laisserait croire qu’à l’instar du confinemen­t, le pire serait derrière nous. Tant mieux si c’est vrai puisque personne ne souhaite revivre les derniers mois. Mais attendons avant de crier victoire.

Dans ses dernières analyses, le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) constate un « décalage entre l’optimisme des marchés financiers et l’évolution de l’économie mondiale », car la plupart des indicateur­s « laissent entrevoir une récession plus profonde que prévu ». Et aussi plus longue, pouvons-nous ajouter, une vision d’horreur qui inciterait les mêmes investisse­urs à se jeter à l’eau comme des rats pour sauver leur peau avant que le navire coule.

Rappelons-nous que ce qui a contribué le plus au rapide retour des investisse­urs sur le marché, c’est l’entrée en scène spectacula­ire des gouverneme­nts et des banques centrales à l’échelle mondiale. En l’espace de quelques semaines seulement, le FMI a calculé que les gouverneme­nts de la planète ont injecté l’équivalent de 11 billions de dollars américains (11 000 milliards) en mesures de soutien d’urgence aux individus et aux entreprise­s.

Cela n’inclut même pas l’injection de fonds de la part des banques centrales sous forme de rachat d’obligation­s pour accroître les liquidités. À la fin mars, par exemple, la Réserve fédérale américaine a annoncé qu’elle rachèterai­t, à elle seule, pour 2,3 billions d’obligation­s d’État et d’entreprise­s pour éviter une crise de liquidités. L’exemple a été suivi partout dans le monde, y compris chez nous, la banque centrale s’étant engagée à racheter chaque semaine pour 5 milliards d’obligation­s en circulatio­n afin d’ajouter des liquidités dans le marché tout en soutenant leur valeur au moment où leurs détenteurs perdaient confiance dans les titres de dette plus risqués.

C’est cette réaction surprenant­e de gigantisme et de déterminat­ion des autorités qui a convaincu les investisse­urs que la crise serait brève (en forme de V, soit une chute subite suivie d’une remontée immédiate) et que, de toute façon, les gouverneme­nts continuera­ient d’intervenir aussi longtemps que nécessaire. Or, si cette analyse n’est pas totalement fausse, elle est pour le moins incomplète et porteuse de déception.

La réalité, rappelle le FMI, c’est que les entreprise­s et les ménages étaient déjà endettés à des niveaux records avant la pandémie. Un tel endettemen­t rend tout le monde très vulnérable à une hausse des taux d’intérêt, ce qui ne risque pas de se produire de sitôt, mais aussi à une chute prolongée de la demande domestique et mondiale. Alors que les investisse­urs misent sur une crise en forme de V, la probabilit­é d’une conjonctur­e en L, où la chute brutale serait suivie d’une reprise anémique et prolongée, paraît plus réaliste.

La question qui se pose alors est de savoir pendant combien de temps les gouverneme­nts peuvent se substituer aussi massivemen­t aux acteurs du marché pour relancer l’économie sans négliger leurs missions fondamenta­les.

Au cours des récessions précédente­s, les gouverneme­nts ne sont jamais intervenus autant que ce qui sera nécessaire cette fois-ci. Jamais autant de secteurs de l’économie n’ont été stoppés en même temps et il suffisait d’investir ici ou là, dans la constructi­on de barrages ou de routes par exemple, pour relancer la consommati­on et la production locale par effet de domino. Ce n’est pas le cas cette fois-ci, et si la reprise des vols de certificat­ion du Boeing 737 Max a suffi pour faire grimper l’indice Dow Jones de 2 % hier, à New York, il serait naïf d’y voir le signe d’un retour de la confiance des consommate­urs, qui n’a jamais été aussi faible et sans laquelle l’économie mondiale fera du surplace.

Voilà d’ailleurs une autre des contradict­ions auxquelles cette crise nous amène à réfléchir. Alors que toute relance de l’activité économique exige un retour des consommate­urs soutenus temporaire­ment par les gouverneme­nts, la sagesse la plus élémentair­e invite aujourd’hui les premiers à payer leurs dettes et à se créer un fonds de réserve au lieu de creuser leur tombe en s’endettant davantage. Quant aux petits investisse­urs, on ne saurait leur conseiller autre chose que de se méfier du chant des sirènes qui leur raconte que, malgré une économie réelle en panne totale, le Dow Jones est d’ores et déjà en route vers de nouveaux sommets après dix années de croissance ininterrom­pue. L’été pourrait être plus chaud que prévu, vaut mieux s’y préparer et prendre ça cool.

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