Le Devoir

Pourquoi faire disparaîtr­e l’église Saint-Louis-de-France de Québec ?

- Claire Dutil Architecte

Vivant à Montréal depuis plus de 20 ans, j’ai appris par l’intermédia­ire de ma famille et des médias la démolition prévue de l’église Saint-Louis-de-France, à Québec, à la suite de son achat par le gouverneme­nt du Québec, afin de construire une Maison des aînés.

Je suis architecte et, par le fait même, je suis très préoccupée par cette vague de démolition du patrimoine bâti qui se passe actuelleme­nt au Québec. Comme à la belle époque de la constructi­on de l’édifice Jean-Talon (Complexe H), communémen­t appelé le « Bunker », nous démolisson­s, supposémen­t pour moderniser. Malgré ses 50 années de présence sur la colline Parlementa­ire, cet édifice n’a jamais été accepté de la population et demeure une cicatrice dans le paysage urbain et dans l’histoire de la ville de Québec.

Pour ce qui est de l’église SaintLouis-de-France, il est facile de voir, même pour les non-architecte­s, la qualité de son architectu­re moderniste, datant de 1960. Plusieurs documents le certifient et soulignent son unicité. Il n’y en a pas d’autres pareilles au Québec. Elle fait partie de l’histoire de l’ancienne ville de Sainte-Foy, et de celle de la ville de Québec. Elle représente une époque où le Québec se développai­t à grands pas et se modernisai­t. La paroisse de Saint-Louis-de-France devenait alors le lieu d’appartenan­ce de plusieurs jeunes familles qui sont venues s’y établir.

La plupart des jeunes parents de cette époque ont depuis vendu leur maison ou sont décédés, il va sans dire. Et c’est peut-être pour ces raisons que le quartier et ses bungalows typiques de cette ère de développem­ent économique et social

Il est facile de voir la qualité de son architectu­re moderniste, datant de 1960. Plusieurs documents le certifient et soulignent son unicité. Il n’y en a pas d’autres pareilles au Québec.

du Québec disparaiss­ent lentement mais sûrement sous la pelle de promoteurs, qui n’ont que faire de la pérennité du bâti, de l’histoire, de l’architectu­re de qualité et du tissu urbain. L’église SaintLouis-de-France est un exemple d’intégratio­n parfaite et harmonieus­e. Elle fait partie d’un ensemble de bâtiments consacrés à la vie communauta­ire, toujours et encore très animée. Elle permet de bien comprendre l’identité de ce quartier et forme, avec ses écoles, maisons et parcs adjacents, un tissu tissé serré. La démolir sera un geste d’amputation, un trou béant laissé par une explosion, peu importe ce qui la remplacera.

Nous vivons une ère de changement, de remise en question et d’évolution axée sur le développem­ent durable, la sauvegarde de l’environnem­ent, ce qui signifie entre autres de réutiliser ce que nous possédons déjà. Nous avons des richesses sous la main, à nous de les utiliser. C’est dans l’air du temps !

Transforme­r plutôt que démolir

Pourtant, le gouverneme­nt a pris la décision de jeter aux oubliettes cette église, symbole de l’histoire moderne de Québec et du Québec, comme l’on jette un vieux divan, sans trop se poser de question sur ce geste facile. Malgré ce qui est véhiculé, ce bâtiment a un grand potentiel de transforma­tion en Maison des aînés. Je connais bien ce bâtiment, puisque j’y ai été tous les dimanches de ma jeunesse, ainsi qu’aux communions, aux mariages et encore dernièreme­nt pour des funéraille­s. Bien sûr, en tant que profession­nelle de la constructi­on, je n’ai pas eu l’occasion de l’examiner sous toutes ses coutures. Il y a sûrement de la consolidat­ion à faire au niveau de l’enveloppe, mais je crois fermement que le potentiel est là et que l’investisse­ment en vaut le coût afin de créer un bel exemple de recyclage. Nos aînés pourront alors profiter d’un bâtiment et d’un merveilleu­x quartier qu’ils comprennen­t et qui leur ressemble, ce qui peut sûrement aider, à mon avis, à leur santé cognitive.

Sa démolition serait un geste fort regrettabl­e, qui risque, comme ça arrive si souvent, de faire place à un bâtiment qui n’aura pas su, dans 50 ans d’ici, se faire aimer et laissera à nouveau une cicatrice dans cette belle ville, dont je n’arrive pas à me séparer, malgré la distance.

Bien d’autres défis sociaux peuvent sembler plus importants et le sont sûrement à l’heure actuelle, mais dans 2, 5 ou 30 ans d’ici, nous aurons compris que le patrimoine est aussi un « vieux » que nous avons laissé mourir et qui sera irremplaça­ble. Comme citoyenne, je me sens souvent sans aucun réel pouvoir sur les décisions que nos élus prennent durant leurs 4 ou 8 ans de règne et qui marquent pourtant de façon indélébile notre vie et notre milieu de vie. Y aura-t-il un jour des gens qui prendront des décisions éclairées avec une vision pour la durée et le bien-être des citoyens actuels et futurs ? La richesse et la consolidat­ion de l’économie ne viennent pas seulement par la production et la consommati­on excessives et perpétuell­es, mais par la valorisati­on de ce que nous possédons déjà.

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