Le Devoir

La bédé pour guérir les blessures

Le Goethe-Institut de Montréal lance une série de bandes dessinées en ligne sur le thème de la réconcilia­tion

- CAROLINE MONTPETIT

Le mot « réconcilia­tion » évoque des réalités très différente­s, selon qu’on le prononce en Allemagne ou au Canada. Dans les deux pays, pourtant, le concept de réconcilia­tion est désormais un impératif d’unité sociale et de progrès communauta­ire. Au Canada, le mot réconcilia­tion est évoqué comme espoir d’une cohabitati­on plus juste avec les Autochtone­s. En Allemagne, la réconcilia­tion se veut le fondement d’une Allemagne réunifiée, et une façon de transforme­r le lourd héritage des deux guerres mondiales.

C’est pour ces raisons que l’antenne canadienne du Goethe-Institut a lancé un projet de collectif de bandes dessinées sur le thème de la réconcilia­tion. Accessible gratuiteme­nt sur le site de l’Institut, le projet a mobilisé les talents de dix auteurs canadiens et de dix auteurs allemands. Formées d’une planche chacune, les bandes dessinées sont présentées en français, en anglais, en allemand et en langues autochtone­s.

« On s’est rendu compte que c’était un thème qui touchait nos deux pays sous des angles différents », dit MariePierr­e Poulin, du Goethe-Institut à Montréal. C’est pourquoi les auteurs ont été libres d’interpréte­r l’idée de la réconcilia­tion de façon très large. On y aborde les questions politiques — les politiques canadienne­s en matière autochtone, et, brièvement, le rôle de l’Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale —, mais on y parle aussi de la réconcilia­tion, possible ou non, avec son corps, par exemple, ou avec les membres de sa famille.

« Nous avons dit aux artistes, vous êtes libres d’interpréte­r la réconcilia­tion comme vous le voulez, comme vous le pensez. On voulait des réponses qui ne soient pas préprogram­mées ou précommand­ées », dit Mme Poulin.

L’équipe voulait également réunir une pluralité de voix tant du côté allemand que du côté canadien. Et les bandes dessinées soumises en témoignent. Le groupe AspiGurl, par exemple, qui fait de la bande dessinée « mettant de l’avant la voix des personnes autistes », a illustré les difficulté­s de communicat­ion entre les personnes autistes et les chercheurs. La bande dessinée montre le déséquilib­re qui existe souvent entre les personnes concernées par la recherche, soit les personnes ayant des profils cognitifs atypiques, et les chercheurs eux-mêmes.

Un artiste québécois, Julien DallaireCh­arest, raconte comment il observait les Innus qui venaient faire un pèlerinage à la basilique Sainte-Anne-deBeaupré, sans comprendre pourquoi ils étaient si catholique­s, et les stéréotype­s peu flatteurs que les gens de son entourage entretenai­ent à leur sujet. « Au fond, on ne connaît rien à leur histoire, à notre histoire », écrit-il.

À ce sujet, une bande dessinée signée Aminder Dhaliwal montre un Autochtone qui présente une machine à réécrire l’histoire pour arriver à la réconcilia­tion, mais les Canadiens européens réclament aussitôt le droit d’auteur sur la machine. « Dans ce travail, j’ai voulu montrer la naïveté de ceux qui n’ont jamais connu l’injustice eux-mêmes, avec une pincée d’ironie », raconte l’autrice.

Histoires vécues

De son côté, l’artiste allemand Olivier Kugler a mis en images le comédien anglais Stan Boardman, qui a perdu des proches durant un bombardeme­nt de Liverpool par les nazis en 1941. Le comédien a ensuite gagné sa vie notamment en racontant des blagues sur les Allemands et sur la Seconde Guerre mondiale.

« Dans les moments difficiles, les habitants de Liverpool reviennent avec quelque chose de drôle à dire… donc au lieu d’en pleurer, nous nous en moquons un peu, de la guerre, vous savez », raconte Boardman.

D’autres bandes dessinées évoquent la réconcilia­tion sous un angle beaucoup plus intime. C’est le cas de l’Allemande Katja Klengel, qui met en dessin son rapport trouble avec son corps et ses désordres alimentair­es. D’abord considérée par les autres comme trop grosse, puis comme trop maigre, elle fait finalement la paix avec elle-même, telle qu’elle est.

C’est après une certaine réflexion que l’Institut Goethe a opté pour la bande dessinée comme médium pour porter l’idée de la réconcilia­tion. Il semble d’ailleurs que le 9e art s’y soit très bien prêté par le passé, comme le raconte Lars Von Törne dans un article publié sur le même site. Il cite notamment des mangas de Keiji Nakazawa portant sur Hiroshima, ou la bande dessinée Maus, d’Art Spiegelman, sur l’Holocauste. « Toute réconcilia­tion commence par un premier pas, écrit-il, qui apparaît souvent comme le récit d’histoires personnell­es », dont voici quelques exemples à méditer.

 ?? LINA EHRENTRAUT / GOETHE-INSTITUT ?? « Sans réconcilia­tion, il n’y aurait aucune sorte de relation à long terme », estime l’artiste Lina Ehrentraut, née en 1993 à Neuss, en Allemagne.
LINA EHRENTRAUT / GOETHE-INSTITUT « Sans réconcilia­tion, il n’y aurait aucune sorte de relation à long terme », estime l’artiste Lina Ehrentraut, née en 1993 à Neuss, en Allemagne.

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