La Vitrola, victime de la pandémie
La petite salle de spectacles montréalaise disparaît, asphyxiée par la crise et les paiements
Montréal perd une autre petite salle consacrée aux musiques dites « alternatives » : sans source de revenus depuis plus de trois mois en raison de la crise sanitaire, « sans vaccin contre la COVID-19 à l’horizon, et avec les dettes qui s’accumulent », les artistes Mauro Pezzente et Kiva Stimac, administrateurs de la salle La Vitrola, boulevard Saint-Laurent, ont annoncé lundi par voie de communiqué l’abandon des activités de diffusion, tout en assurant maintenir celles des deux autres essentielles salles qu’ils opèrent depuis plus de vingt ans, la Casa del Popolo et la Sala Rossa.
La décision de cesser les activités de La Vitrola fut simple à prendre, explique Pezzente : les propriétaires de l’édifice situé au 4902, boulevard Saint-Laurent n’ayant pas demandé l’Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial (AUCLC) destinée aux petites entreprises, ils exigeaient à leurs locataires de débourser 80 % du loyer pour les mois d’inactivité, et la totalité dès le 1er juillet (le gouvernement fédéral a annoncé lundi la prolongation de l’AUCLC jusqu’à la fin juillet). « Sans savoir quand on pourra rouvrir normalement, la décision allait de soi », commente l’administrateur, qui s’est entendu avec ses autres propriétaires pour maintenir l’exploitation de la Sala Rossa et la Casa del Popolo.
Inaugurée au printemps 2014, La Vitrola, d’une capacité d’environ 220 spectateurs, était rapidement devenue un lieu névralgique de la scène underground montréalaise, accueillant les artistes en développement d’ici et d’ailleurs. Signe de son importance dans l’écosystème musical, on y organisait en moyenne plus de 250 concerts par année, confirme Mauro Pezzente : « Avec deux, trois groupes par concert, ça fait beaucoup de musiciens de la scène locale qui ont joué à La Vitrola. »
« Il y a six ans, on savait que la scène manquait de salles de taille moyenne, dit l’administrateur, aussi membre fondateur de l’orchestre expérimental Godspeed You ! Black Emperor. Lorsque j’ai su que ce local était disponible, je l’ai tout de suite loué — pas pour faire du profit, mais pour le rendre accessible aux musiciens de la scène locale. C’est triste, mais au moins, je suis content qu’on ait pu faire quelque chose de bon pendant six ans, et on va continuer à le faire avec la Sala Rossa et la Casa del Popolo. » En réaction à la crise sanitaire, la Sala Rossa a été reconfigurée pour permettre la captation audiovisuelle et la production de concerts destinés à la webdiffusion ; quant à la Casa del Popolo, son café rouvrira le 9 juillet et la petite salle adjacente sera transformée en boutique pour les oeuvres de l’imprimerie artisanale Popolo Press, dirigée par Kiva Stimac.
C’est triste, mais au moins, je suis content qu’on ait pu faire quelque chose de bon pendant six ans, et on va continuer à le faire avec la Sala Rossa et »
la Casa del Popolo MAURO PEZZENTE
Le même sort
La communauté musicale montréalaise craint maintenant que d’autres petits lieux de diffusion subissent prochainement le même sort que La Vitrola. « Sans revenus depuis le 13 mars dernier, la situation est difficile, mais on espère encore davantage d’aide [des gouvernements] fédéral, provincial et municipal, sans quoi d’autres salles tomberont », commente Olivier Corbeil, qui s’occupe de la gestion du Théâtre Fairmount, du Bar Le Ritz PDB et du Newspeak. « Présentement, on attend de voir si les programmes d’aide sur la table seront approuvés, et quels seront les montants qu’on pourra recevoir. En attendant, on se croise les doigts : on a de bons propriétaires qui sont cool avec nous, ça nous permet de respirer un peu mieux, pour le moment. »
Tout comme Olivier Corbeil, Jon Weisz, du regroupement Scènes musicales alternatives du Québec (SMAQ) s’accroche à l’espoir qu’une nouvelle aide des gouvernements permettra au fragile réseau de diffuseurs indépendants de survivre à la COVID-19.
« Oui, il y a quelques salles en péril, confirme le directeur général de SMAQ. Les gouvernements sont, en général, assez attentifs » à la précarité du sort des petites salles de spectacles, « mais les gouvernements ne comprennent pas encore bien notre réalité parce que c’est un sous-secteur de l’industrie qui a été négligé dans le passé. C’est plus facile d’injecter de l’argent dans des programmes [de soutien et de financement] déjà établis et structurés », programmes encore inaccessibles aux petites salles indépendantes. Weisz confirme entretenir à cet effet des discussions avec le ministère de la Culture du Québec, la SODEC et Patrimoine canadien pour trouver une solution à la crise, qui touche particulièrement les petites salles de spectacles.
Sur le plan provincial, « ils nous comprennent mieux, parce que ça fait quelques années qu’on discute avec eux, explique Jon Weisz. Au fédéral, nos discussions sont devenues régulières depuis peu de temps seulement. […] Je suis persuadé que certaines salles indépendantes finiront par recevoir de l’aide de Patrimoine canadien, mais je ne suis pas certain que tous en bénéficieront. Je crois qu’il nous faut continuer à bien expliquer aux différents ordres de gouvernements la valeur [culturelle] que crée le modèle d’affaire des petites salles indépendantes. »
Récemment, la Coalition canadienne des scènes indépendantes (Canadian Independent Venue Coalition en anglais) s’est constituée en lançant une campagne de sensibilisation, #SoutenezNosScènes, pour que les entreprises musicales indépendantes puissent également avoir accès au Fonds d’urgence relatif à la COVID-19 pour soutenir les organismes chargés de la culture, du patrimoine et du sport de 500 millions de dollars, annoncé le 8 mai dernier.